Voyager en Haïti, entre émotions intenses et prises de conscience
0| Mis à jour le 12 mai 2020
Voyager en Haïti n’était pas un rêve, comme pour beaucoup d’autres destinations dans lesquelles j’ai pu me rendre, mais plutôt une magnifique opportunité offerte par les organisateurs du No Mad Festival que j’ai saisi. Ce voyage d’une semaine au sud-ouest de Port au Prince fût certainement l’un des plus marquants de ma vie de voyageuse. Il m’a poussée dans mes retranchements provoquant de nombreuses interrogations sur le pays, sur le voyage en général ainsi que sur l’empreinte, loin d’être anodine, que nous laissons lorsque nous voyageons. Comme vous le comprenez certainement entre les lignes, Haïti fût pour moi le rendez-vous des émotions intenses et celui d’une certaine prise de conscience.
En Haïti, la chaleur se ressent chez les habitants
Si je m’imaginais une île colorée, très nature et pleine de sourires, les premiers mots qui revenaient quand je pensais à Haïti étaient plutôt liés à l’instabilité politique, aux catastrophes naturelles et à l’insécurité. Pas très positif tout ça me direz-vous alors quoi de mieux que d’aller là-bas pour me rendre compte par moi-même et éventuellement faire évoluer cette image ? La surprise fût au rendez-vous. À peine avais-je foulé le sol haïtien que je comprenais que ce voyage allait être fort. Il y a d’abord eu mon regard ancré dans le présent mais légèrement distant sur ce nouvel environnement, protégée derrière la fenêtre d’une voiture et ensuite, celle que j’attendais le plus, la rencontre des haïtiens. Ceux des villes comme ceux des champs. Qu’ils soient paysans ou artistes, entrepreneurs ou poètes, ils m’ont tous aider à poser un regard tantôt attendri, tantôt empli d’émotions sur ce pays à l’histoire et aux conditions de vie parfois si difficiles. Ces rencontres furent toutes aussi différentes qu’enrichissantes, parfois déstabilisantes mais elles m’ont fait comprendre à quel point celles-ci peuvent faire changer le regard ou l’image que nous avons d’une destination. Considérer l’humain plutôt que son environnement a le pouvoir de faire évoluer les choses. Un petit rien pour nous peut se transformer en grande chose pour ces communautés que nous visitons lorsque nous voyageons.
Notre impact est indéniable et surtout dans des pays sous-développés, fragilisés par la politique ou les catastrophes naturelles comme c’est le cas pour Haïti. Lors de mon séjour, j’ai visité deux communautés qui bénéficient d’aides financières pour créer un projet qui leur ressemble.
Escapade sur la route du café
En visitant ces deux projets, j’ai pris conscience encore plus qu’ailleurs de l’importance de voyager de manière engagée et responsable. Les conditions de vie de la majorité des haïtiens sont sommaires. L’électricité, l’eau potable et la santé sont un luxe. L’accès à la route aussi. Alors que nous partions visiter la route du café avec Rudolf Dérose, l’initiateur de ce projet qui a pour but de réintroduire la production de café dans le sud du pays, un enfant court vers notre voiture et nous crie « le pont, le pont » alors que nous nous apprêtions à traverser une rivière. Etonné Rudy lui demande « le pont est ouvert ? » Oui lui répond le jeune garçon. Je me souviendrai longtemps de ce visage qui s’illumina en entendant cette réponse positive. Nous avons donc emprunté pour la première fois ce cadeau « béni des Dieux », comme diraient les haïtiens. Je me souviendrai aussi longtemps des éclats de rire des paysans de l’association des producteurs de café de Fond Jean Noël à notre arrivée quand ce même Rudy leur a annoncé que le pont était enfin ouvert. Avant, ils traversaient la rivière avec les moyens qu’ils avaient mais c’était dangereux, surtout quand le niveau de l’eau était haut. Ce fameux pont offre une perspective inestimable de développement à cette communauté même si derrière, il faut parcourir encore une dizaine de kilomètres de piste montagneuse pour accéder au village. Grâce à ce pont demain il y aura, je l’espère, plus de visiteurs qui viendront partager avec eux leur fabuleux projet, qui les soutiendront en achetant un pied de caféier et qui les aideront à amplifier leurs revenus et ainsi améliorer leurs conditions de vie. Avec ce pont, la route du café se met définitivement en marche ! A nous autres voyageurs, haïtiens ou étrangers, de suivre leur superbe initiative.
L’intégration passe par l’éducation et l’entraide
A Vallue, l’autre communauté visitée, ce sont les paysans qui se sont regroupés il y a 30 ans en une association afin d’accompagner et intégrer leur communauté à la vie nationale. Ils ont commencé par créer une route qui relie le morne aux plaines puis ont donné l’accès à l’éducation, l’alphabétisation, la santé, l’agriculture… Depuis les années 2000, pour développer leurs revenus, ils initient ensemble un projet éco-touristique autour de la montagne, de ses valeurs et de ses produits. Un hôtel, la Villa Ban Yen, a même été créé par Abner Septembre, membre fondateur de l’association, pour faciliter l’accueil des touristes.
La route pour y arriver est sommaire, à peine deux bandes de bétons qui sillonnent les collines mais elle offre ce lien incommensurable vers la vie d’en bas. Elle facilite, entre autres, l’accès aux marchés pour y vendre leurs productions de fruits, légumes, fromages, de produits artisanaux mais aussi à l’éducation… Ce qui m’a marquée là-haut, c’est l’envie de trouver des solutions pour s’en sortir à un niveau local plutôt que d’attendre que cela vienne de plus haut. Les paysages y sont indescriptibles et on s’y sent bien, on respire, on s’y sent en sécurité et on y vit le bonheur simple de la montagne. En se promenant au lever du soleil, il y a ce va-et-vient de ceux qui vont travailler à pied ou en deux roues, ces sourires… On croise ces visages marqués par le temps et ces enfants souriants. On y croise le courage et l’insouciance. Pour apprécier Vallue et profiter de tout ce qu’elle a à nous offrir, il faut rester plusieurs jours et aller marcher, rencontrer, discuter, s’impliquer, partager et apprécier les valeurs de cette communauté.
Voyager me permet de découvrir ces trésors cachés ou oubliés. Haïti en est un. Ici encore plus qu’ailleurs, j’ai compris que voyager n’est pas simplement s’arrêter à de beaux paysages. Voyager, c’est s’engager à aller à la rencontre de l’autre, partager des moments de vie et découvrir ce petit supplément d’âme d’une communauté ou d’un village. Voyager c’est donner un peu de lumière à des structures locales afin de les aider à sortir de l’ignorance. Les aider à vivre tout simplement.
Merci à Adeline Gressin pour ce magnifique récit de ce voyage à Haïti. Retrouvez ses histoires de voyages sur son blog Voyagesetc.
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