SlowTrip : deux frères en tour du monde, sans utiliser d’énergie fossile
0| Publié le 22 mars 2021
Aujourd’hui, on part à la rencontre de deux frères qui ont décidé de partir en tour du monde : Ghilian et Tristan, respectivement 26 et 27 ans. Partis en novembre 2019 dans le but de faire un tour du monde sans moteur, ils ont fini par se séparer pour suivre des itinéraires différents. Les aléas du voyage au long cours sans doute. Lorsque nous les contactons, Ghilian est à La Réunion tandis que Tristan est en Polynésie Française. Ils s’écrivent et se donnent des nouvelles régulièrement sur leur blog SlowTrip.
Près de quinze mille kilomètres vous séparent actuellement. Que s’est-il passé ?
Ghilian : Le but initial était de faire un tour du monde sans moteur, principalement grâce aux vélos et aux voiliers. Pour la faire courte, nous avions prévu une traversée de l’Atlantique, un passage aux Caraïbes, une traversée du Pacifique, puis une arrivée en Asie et enfin un retour en France à vélo en traversant l’Eurasie. Tout s’est enchaîné plus ou moins comme nous le voulions jusqu’au Panama où nous avons eu les premiers signes d’une panique mondialisée.
Après les difficultés liées au Covid, nous avons pu traverser le Pacifique en direction de la Polynésie Française où il y avait seulement un couvre feu et une interdiction de sortir de l’île. Au fur et à mesure, la navigation a pu reprendre dans un premier temps intra-archipel puis extra-archipel. Lorsque nous avons finalement amarré le bateau à Tahiti, après 3 mois en Polynésie, nous avons fait le choix de continuer pendant un temps chacun de son côté. Tristan, navigateur plus aguerris, a privilégié le bateau, ne souhaitant pas se risquer à aller en Asie pendant cette période de Covid.
De mon côté, têtu comme une mule et bénéficiant d’une belle opportunité pour continuer le voyage sur un Trimaran de 50 pied, j’ai choisi d’aller voir de mes propres yeux la situation asiatique. Après avoir embarqué avec un nouvel équipage chilien et allemand, avoir traversé le Pacifique jusqu’en Indonésie, je me suis rendu compte, à l’aube de la seconde vague, qu’il serait bien plus compliqué que prévu de traverser l’Asie en vélo. J’ai donc sauté dans un autre bateau avec des mexicains et le même chilien pour La Réunion afin d’y effectuer une escale, en attendant de meilleurs jours pour naviguer.
Vous n’avez jamais pensé à abandonner votre tour du monde à cause du Covid ?
Ghilian : Lorsque nous sommes arrivés du côté Pacifique du Panama, et saisissant l’ampleur de la crise, nous avons longuement réfléchi à un rapatriement en France. Puis finalement, la soif de découverte a été plus forte que la peur de l’inconnu.
Revenons sur cette première crise du Covid au Panama. Que s’est-il passé ?
Tristan : Nous étions au Panama lorsque les premiers cas de Covid on été détectés. Ca avait l’air loin, nous étions carrément à l’autre bout du monde…alors on a effectué un road-trip à vélo et sans argent dans les bleds du Panama comme si de rien n’était. A notre retour sur le canal, le lock-down commençait. Nous avons dû nous ravitailler pour un mois de mer malgré le confinement. Tout le monde commençait à paniquer, surtout les propriétaires de voiliers. A ce moment là, je me suis demandé si c’était vraiment une bonne idée de passer coté Pacifique. Pour rentrer en France, le plus simple reste la transatlantique et il était hors de question de rentrer en avion, d’abandonner le principe du tour du monde « sans énergie fossile ». Et puis la traversée du canal était organisée et payée depuis longtemps.
On a vraiment eu chaud au fesses car le confinement commençait et nous étions coincés dans la marina de shelterbay, tandis que le bateau et l’équipage sur lequel nous devions partir était lui bloqué hors de la marina. L’eau saumâtre étant infestée de crocodiles, autant dire qu’il n’était pas envisageable de les rejoindre à la nage. Finalement, on a réussi à traverser le canal et ils ont fermé le transit aux voiliers le lendemain.
Il y a une forme de frustration vis-à-vis de la situation actuelle ?
Ghilian : La traversé de l’Asie, du Moyen-Orient et de l’Europe a vélo me tenait à cœur. J’ai passé des jours à concocter un itinéraire afin de pouvoir traverser ces continents par la voie la plus sûre. Finalement il n’en sera rien mais je croise les doigts pour quand même avoir l’opportunité de faire un bout en vélo.
Le covid nous a aussi empêché, lors de la traversée du Pacifique vers l’Indonésie, de faire des escales paradisiaques dans plusieurs pays tel que les Samoa, Vanuatu, Papouasie Nouvelle-Guinée. Ce sont des îles tellement éloignées qu’il est difficile de dire que l’on pourra y retourner un jour. Mais cette partie n’est pas aussi frustrante car lorsque l’on fait du bateau stop on ne sait jamais trop où es ce que l’on fera escale exactement. On connaît juste le port de départ et le port d’arrivée. Le reste c’est l’histoire du capitaine.
Tristan : Ghilian a été frustré de ne pas pouvoir rentrer par l’Asie, de devoir reprendre la mer. De mon côté la frustration arrive maintenant que je souhaite continuer vers l’ouest pour le rejoindre et que tout est encore fermé, mais le rêve est toujours vivant dans ma tête, alors je me prépare à de longues navigations avec peu d’escales, comme Ghilian a pu le faire pour rejoindre La Réunion. c’est aussi ça l’aventure après tout. Et puis être confiné au milieu de l’océan, il y a pire pour un marin !
Ghilian : Dans ce contexte, c’est primordial de s’adapter si l’on veut pouvoir continuer et ne pas prendre un vol retour en brisant tous ses espoirs.
Vous faites un tour du monde sans énergie fossile. Comment ça se matérialise au quotidien ?
Tristan : notre voyage se veut sans énergie fossile et dans un mode de vie sobre. Au quotidien, on évite les activités motorisées. Par exemple, sur mon bateau, on essaye de mouiller un maximum à la voile, on navigue quand il y a du vent pour ne pas utiliser le moteur. Pareil sur notre annexe qui permet de rallier la terre ferme, nous n’utilisons le moteur que très rarement, en contrepartie il faut ramer. J’y vois de multiples bénéfices, on pollue moins, on se maintient en forme et on dépense moins, donc on aura besoin de moins travailler. On se rapproche ainsi d’une vie sobre en évitant d’alimenter par nos consommations ou notre travail le système de croissance sans fin dans lequel nous vivons. ce sont des principes que nous nous forçons de respecter aussi dans nos mode de vie sédentaire
de manière générale. On fait le maximum de choses nous-même que ce soit au niveau de la nourriture, compotes confitures, pain, ou des produits tel que le dentifrice et les crèmes hydratantes. on essaye de réparer plutôt que de jeter et d’acheter de seconde main.
Ghilian : A terre, nous nous déplaçons principalement en vélo. À travers les océans, nous naviguons à la voile.
Cette façon de voyager nous permet de ralentir nos déplacements, et le rythme de nos vies. De mesurer plus humainement les distances et de profiter réellement du temps pendant lequel nous avançons. L’intérêt d’un voyage n’est pas seulement le lieu que l’on rejoint mais également le chemin que l’on parcourt.
Est-ce que vous savez combien de kilomètres vous avez fait depuis votre départ ?
Ghilian : Je dirai 3000 km en vélo et 20 000 miles.
Tristan : nous avons parcouru environ 2500 km en vélo à travers la France et l’Espagne puis sur les îles, à Tenerife (Canaries) puis en Martinique, et à Bonaire. nous avons aussi pédalé au panama et ghilian à bien ajouté quelques centaines de bornes à son compteur sur l’île de La Réunion. A la voile, Ghilian est déjà à plus de 19 000 miles soit plus de 38 000 km. De mon côté je suis à 10 000 miles soit environ 18 000 km à la voile, dont plus de 2 000 sur mon petit Orialis.
Jusqu’à présent, où avez-vous fait les plus belles randonnées ?
Tristan : nous en avons pris plein la vue aux Canaries sur le mont Teide, au panama au bord du lac Gatùn mais mon coup de cœur reste les Marquises (Polynésie Française), sauvages, authentiques, des montagnes abruptes qui plongent dans la mer, des sentiers non balisés et des fruits à profusion. Mais je n’ai pas encore vu la célèbre diagonale des fous de La Réunion.
Ghilian : J’ai pu découvrir le Rinjani en Indonésie, une belle expérience de dépassement de soi avec ce volcan qui ne se laissent pas gravir facilement, surtout après 3 mois sans trop marcher.
Pour un marcheur qui recherche l’essence de la nature, les randonnées en Polynésie valent largement le coup, des fruitiers sur les bords des chemin, pas de trace GPS, juste des infos des locaux. Des paysages dépaysant.
Enfin bien sûr, La Réunion offre une diversité incroyable. En 3 jours de randonnée vous pouvez passer d’une plaine aride a une forêt tropicale.
Je crois que celle qui me laisse encore un très beau souvenir, c’est celle que j’ai pu faire aux marquises avec Tristan où l’on a du chercher le chemin entre les traces de cochons sauvages et les sentiers des chasseurs afin d’aller de Atuona à une baie accessible seulement en bateau ou a pied par ce chemin, Hanamenu. On est d’abord accueilli par la nature avec des goyaviers et des pamplemoussiers incroyables. Puis arrive cette cascade naturelle avec ce petit bassin d’eau douce tant rêvé, bordé par des cocotiers.
C’est facile de faire des rencontres quand on fait un tour en pleine pandémie ?
Ghilian : Oui je crois que même avec ce contexte, les gens gardent une envie de partage et de rencontres. Sur les îles, on pourrait penser que les gens se replient sur eux même en envoyant bouler les nouveaux venus mais finalement la plupart du temps on est accueilli comme des rois. Le contexte Covid, après une petite barrière de méfiance, ne freine pas tant que ça. À La Réunion, alors qu’il y a eu un vrai confinement et des couvre feu à répétition, j’ai pu être invité dans des familles créoles pour fêter, Noël, la fête Kaf et même le premier de l’an car ça leur faisait plaisir de faire découvrir leurs traditions a un nouveau venu. Et ce alors même que toute leur famille ne pouvait être présentes à cause des nouvelles réglementations.
Tristan : j’ai la chance d’avoir passé cette première année de pandémie en Polynesie Francaise, région du monde peu impactée par le Covid et dont l’organisation insulaire réduit la propagation. dans ces îles, les bateaux à voiles restent bien accueillis ce qui n’est pas vrai partout dans le monde. On se fait régulièrement inviter à manger du poisson frais ou du cochon sauvage. Bien sûr, il y a toujours des locaux qui restent stressés et qui demandent le port du masque. On se sent quand même vraiment privilégié ici.
Il y a eu d’autres galères à part le Covid ?
Tristan : lorsque nous avons rejoins le sud de l’Espagne, nous avons pédalé 15 jours sous la pluie sur 17 jours, c’était assez dur physiquement et psychologiquement surtout que nous avions une moyenne de 115 km par jour. Nous avons chacun eu une inflammation du genou à différents moments. mais le rêve du soleil nous a porté et le sourire des gens nous inondait plus encore que la pluie dans nos sacoches.
C’est quoi la suite du programme ?
Tristan : l’idée est de se rejoindre à La Réunion pour finir ce trip ensemble, entre frères comme nous l’avons commencé, via le cap Bonne Espérance, puis l’océan Atlantique. Cela dit, nous avons conscience que dans le contexte actuel les plans évoluent vite alors seuls ceux qui nous suivent sauront ce qu’il adviendra de nous.
Ghilian : Advienne que pourra.
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