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Le blog voyage by Chapka

Aux pays des brumes, la découverte des pays baltes à vélo

Sophie Planque et Jérémy Vaugeois sont un couple d’explorateurs, documentaristes et photographes qui parcourent à « propulsion humaine » les régions reculées de notre planète pour rapporter des récits immersifs et vivre des aventures uniques. Ils ont par exemple traversé les Amériques des côtes de l’océan arctique en Alaska jusqu’à Ushuaia en Terre de feu, entièrement à vélo sur 30 000 km pendant deux ans et demi et par les montagnes. Chapka les avait suivi et supporté pour le meilleur et pour le pire. 

Dernièrement, ils ont pédalé pendant 5 mois et 5000 km autour de la Mer Baltique en plein hiver pour documenter les cultures animistes des pays baltes que possèdent l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Leur film documentaire de 52 minutes « Aux pays des brumes », a été diffusé sur Arte le 8 mars 2024 et sera prochainement diffusé sur Ushuaia TV. Un beau-livre éponyme est également née de ce projet.

Il était ainsi grand temps de ne pas oublier que l’Europe a elle aussi un héritage culturel insoupçonné lié à son environnement, au même titre que le culte à Pachamama en Amérique latine, le shintoïsme au Japon ou le bouddhisme du Tibet incarné par le Dalaï-Lama. Les pays baltes, dissimulés sous une fine brume de glace, osent aujourd’hui sortir de ce voile et s’affirment en tant que peuples racines en revendiquant de plus en plus leurs caractères indigènes, portés par les traditions animistes et une relation profonde, ancestrale, avec la nature.

Comment vous est venue l’idée de ce voyage à travers les pays baltes ?

Sophie : Lors de notre précédent périple à travers l’Amérique, Jérémy et moi nous sommes imprégnés de la nature et des différentes cultures animistes qui se trouvent sur ce grand continent. À notre retour, nous nous sommes demandés si l’Europe avait elle aussi, un héritage insoupçonné lié à la nature ? Nous désirions creuser cette réflexion. Lors d’un court séjour en Lettonie, j’ai rencontré une jeune femme qui m’a parlé de sa fierté de fêter les solstices et de son histoire préchrétienne. Cela m’a intriguée. J’ai mené mes recherches et je me suis rendu compte qu’il ne s’agissait nullement d’un effet de mode, ni d’un mouvement politique ou identitaire, mais bien d’une quête spirituelle et d’un lien profond à la nature, propre aux peuples baltes. C’est alors que nous avons décidé de partir en quête de ces cultures ancestrales. Nous avons choisi de nous y rendre pour le solstice d’hiver, un moment plus intimiste et authentique. Et pour se rendre dans les pays baltes, nous avons souhaité employer un moyen doux de déplacement, qui est un très bon vecteur social : le vélo. Nous sommes partis de Savoie en train puis de Hambourg à vélo pour aller, et revenir entièrement à vélo sur plus de 5,000 km, en plein hiver.

©Sophie Planque

Quel était le climat politique au moment de votre départ ?

Jérémy : Fin 2022, après avoir parcouru 1500 km à vélo, nous sommes arrivés en Lituanie. On entrait enfin dans le « pays des brumes ». Politiquement, avec le conflit ukrainien, la tension était à son maximum. Les proches frontières avec la Russie et la Biélorussie étaient devenues de véritables rideaux de fer. La Pologne venait quant à elle d’essuyer un tir de missile « potentiellement russe ». Nous retenions notre souffle à chaque instant : si un conflit armé devait avoir lieu, les pays baltes étaient en première ligne. La guerre menaçait et je la ressentais surtout dans la peur des gens avec lesquels j’échangeais en chemin. Le climat était très pesant.

Et le climat météorologique ?

Jérémy : L’hiver était menaçant, lui aussi. Les températures ont chuté drastiquement à la mi-décembre, après que la tempête « de la décennie » a balayé les trois États baltes. Un mètre de neige s’est accumulé en moins de 48h sur notre chemin : notre thermomètre affichait alors -15°C ! Nos extrémités étaient gelées. Malgré tout, on ne se plaignait pas : il était crucial de nous immerger complétement dans cet environnement pour en percer les mystères animistes. Pour les percevoir, nos sens devaient être constamment à l’affût.

Pourquoi avoir choisi de faire ce voyage à vélo ?

Jérémy et Sophie : Le vélo est un outil qui permet de se déplacer sur de longues distances et en autonomie. Aussi, il favorise l’accès à l’autre. Maintes fois, nous avons entendu de la part des baltes (pourtant réputés de caractère très froid et réservés) : « Si vous êtes venus ici en hiver et à vélo, c’est que vous devez être de bonnes personnes ». Ainsi, nous accédions à leurs foyers et nous touchions au versant intime de leur culture. Se déplacer au moyen de ses propres forces permet encore et surtout un développement des sens. Or, la rencontre la plus forte dans un voyage comme celui-ci, c’est bien celle avec soi-même. C’est grâce à elle que l’on peut aller à la rencontre de l’autre. C’est à ce moment précis que nature et culture se trouvent indissociables.

©Sophie Planque et Jérémy Vaugeois

Comment se sont passées les rencontres avec les populations locales lors du tournage ?

Sophie : Cela n’a pas été simple d’interviewer la population balte, de nature discrète et réservée. Le sujet de notre film touche à l’intime, à l’identité propre de ces personnes. Aujourd’hui, les Baltes se relèvent des siècles d’oppression et de domination étrangère – il ne faut pas oublier l’occupation de l’URSS, de la Suède, de l’Allemagne… Après 30 ans de réelle indépendance, le pays et son peuple se redécouvrent. Cela demande du temps.

J’ai voulu porter mon attention à ce lien si spécial qu’entretiennent les Baltes à la nature. Pour le comprendre, il faut passer du temps dans l’intimité d’un foyer, d’une famille, d’une personne. J’avais contacté un archéologue, Vykintas, qui refusait dans un premier temps de s’entretenir avec moi. Un an s’est écoulé avant qu’il n’accepte : il craignait mon jugement, avait peur que je ne tourne sa spiritualité au ridicule, ou que je n’en réduise l’ampleur. C’est pourtant lui qui, plus tard, nous a conviés sur un lieu qui n’avait encore jamais été filmé et même photographié quelque part en Lituanie, là où depuis 30 ans un feu sacré est entretenu nuit et jour par des bénévoles. L’allégorie des braises ravivées ! Il y a quelques centaines d’années, on trouvait de ces feux sacrés dans tout le pays. Ils sont le symbole d’une connexion aux ancêtres, d’un lien indéfectible entre le vivant et le non-vivant. Il est passionnant de penser que nous avons en Europe des cultures indigènes dont l’héritage est profondément lié à la nature. Nous n’avons pas besoin d’aller chercher à l’autre bout du monde, dans des contrées lointaines et exotiques : c’est ici, en Europe.

©Sophie Planque

Votre film et votre livre témoignent aussi d’un profond contact avec la nature balte.

Jérémy : Nous souhaitions plonger dans une Europe sauvage et insoupçonnée. Traverser un tel paysage hivernal, c’est se réapproprier le temps, c’est se détacher de l’urbanisme et des infrastructures humaines. C’est retrouver une place animale dans l’espace. Certes, le monde global n’est pas complétement absent de notre voyage : même à l’extrémité de l’Europe, il se manifeste par ses champs de cultures intensives ou ses monocultures forestières parfois à perte de vue… Malgré tout, nous avons pu nous émerveiller devant un patrimoine naturel préservé et unique comme les grands marais estoniens de Soomaa. C’est cela que nous recherchions, en parallèle de notre rencontre avec les Baltes et leurs cultures diverses. Nous allions de Piliakalnis (« collines foritfiées ») en forêts sacrés et lacs. Nous avons emprunté des routes et des pistes reculées qui nous ont menés là où peu daignent aller en plein hiver – même pas les Baltes eux-mêmes, bien blottis dans la chaleur de leurs foyers. C’est aussi au cœur de cette nature sauvage que resplendissent les cultures ancestrales des « pays des brumes ». Car une seule rencontre dans la monotonie du paysage balte (plat par nature) peut créer l’exception. Ainsi une coutume singulière resplendit en contrastant dans l’environnement endormie par l’hiver, d’autant plus aux yeux des étrangers que nous sommes en chemin. Je suis convaincu que la rareté implique l’intensité.

Sophie : A travers nos photos et le film, nous souhaitons mettre en avant la relation profonde qui existe entre les baltes et leur environnement. Et cette relation est historique, encrée depuis des temps immémoriaux. On ne connait pas bien l’Histoire des Pays-Baltes. Mais il faut savoir que la Lituanie et la Pologne formait un grand royaume au Moyen-âge, le plus grand royaume d’Europe ! Et il était pré-chrétien, car le roi du grand-duché de Lituanie était un « païen ». Les Pays-Baltes ont été les derniers à avoir été christianisés en Europe. Leurs cultures mélangent donc les rites et traditions anciennes avec la religion moderne. On vénère autant un arbre, une rivière, que Jesus. C’est plus ou moins marqué selon les régions où l’on se rend, mais c’est présent. Même les chrétiens de Lituanie sortent le soir de Noël en espérant converser avec les animaux. C’est la seule nuit où cela est dit possible. L’Ambassadeur de Lituanie en France le fait aussi ! Entre tradition et modernité, on a souhaité montrer que l’on peut très bien vivre dans une vie moderne, en ville ou en campagne et être attaché à ce qui nous entoure, sans le considérer comme une simple ressource, mais lui donner de l’esprit, de la valeur émotionnelle, de la valeur sacrée finalement. 

©Sophie Planque et Jérémy Vaugeois

Pouvez-vous nous décrire les conditions de tournage cette expédition ?

Sophie : D’habitude, quand je pars en tournage, tout se fait de manière très efficace. Je prends le train, l’avion ou le bateau avec une collègue chef opérateur, je tourne, je dors essentiellement à l’hôtel, les batteries sont vite rechargées et les journées s’enchaînent ainsi. Là, la configuration était tout autre. Nous sommes partis à vélo, chargés de tout l’équipement d’autonomie (tente, sac de couchage -40°C, vêtements imperméables, nourriture, etc.) et du matériel de tournage (caméra, trépied, batteries, matériel de prise de son). Il a fallu faire des choix drastiques, car le futile n’avait pas sa place sur nos vélos. Nous avons filmé dans des températures entre 0°C et -35°C, sans pouvoir recharger tous les jours et tout en gérant le bivouac. Cela nous prenait 2h chaque matin et chaque soir pour mettre et lever le camp, niveler le sol, débiter du bois, faire du feu, faire fondre la neige afin de pouvoir boire et cuisiner… La gestion de l’énergie (aussi bien la nôtre que celle de notre matériel de tournage) était essentielle. Il nous arrivait de pédaler 1 km en 1 h en raison de chutes de neige record. C’était très compliqué. Mais, paradoxalement, c’est la grande plus-value de ce film et de ce livre. Les contrastes sont saisissants. Les extérieurs pâles et enneigés détonnent des intérieurs chauds et colorés, manifestant la dualité qui existe dans ces pays, tant au niveau naturel que sociologique.

Jérémy : À grands coups de 25 km par jour, en 6 h d’efforts, on avançait dans la neige profonde. On nageait dans l’anti-performance et ça nous allait très bien. Les petits rituels faisaient notre quotidien et rendaient le chemin plus acceptable.

Et une fois le tournage fini, comment votre voyage s’est-il achevé ?

Jérémy : Je crois très sincèrement que le propos que nous aimons aborder avec Sophie (ces cultures animistes européennes, ancestrales et vivantes) mérite une attention qui va au-delà de l’image. Pour nous, une exploration doit être une expérience personnelle, une immersion totale. Début février, après 3 mois des plus intenses, le tournage a pris fin mais nous voulions encore aller au bout de nos convictions. Traverser l’hiver, c’est aller jusqu’à l’équinoxe de printemps. C’est ce que l’on a fait en faisant le trajet retour à vélo évidemment. Alors nous avons continué à pédaler autour de la mer Baltique en passant par le cercle polaire arctique, et en faisant cap au sud (direction l’Allemagne et Hambourg) depuis le 66°33’N en compagnie du feu qui nous réchauffait matin et soir. Ce feu si symbolique qui nous avait tant appris dans les pays baltes et qui devenait une figure proche, une personne à part entière, un être fragile et sensible, tout aussi vivant que nous. Le voyage s’est donc véritablement achevé au jour de l’équinoxe de printemps. C’était le 20 mars 2023. Après 5 mois face à une nature hostile, nous avions intimement pris connaissance et conscience du « prix de la vie ».


Le livre Aux pays des brumes est disponible sur les sites internet des explorateurs ainsi que sur le site de Hemeria, éditeur de beaux livres photo.

  • Format 280x250mm – paysage – 176 pages
  • Papier : Munken Kristall rough 150g en fabrication, 4+4 (22×8 pages) en H-UV (imprimé en France)
  • 100 photos

Responsabilité environnementale >>>  L’impression n’utilise que des matériaux nobles et notamment du papier issu de forêts gérées durablement et produit en conformité avec les normes FSC et PEFC, afin de limiter son empreinte sur l’environnement.

Le film a été diffusé sur Arte le 8 mars 2024 et sera prochainement disponible sur Ushuaia TV ! Il est également en tournée de festivals.

Plus d’informations sur :

www.sophieplanque.com

www.jeremyvaugeois.com

@sophie_et_jeremy

Bio Sophie Planque

Sophie Planque a été journaliste d’investigation pour la télévision française, réalisant de nombreux reportages et magazines pour TF1, M6, le groupe Canal et ARTE. Forte de ces 14 années d’expérience, elle se lance dans la réalisation de documentaires de voyage et de découverte. Elle est photographe publie articles et photos dans la presse spécialisée. Elle est aussi aventurière et a traversé de nombreuses géographies seule et en autonomie, comme la Laponie finlandaise en automne, la Corse, des îles grecques, le Svalbard à ski pulka, avant de commencer à mener des expéditions en couple à plus grande échelle.

Bio Jérémy Vaugeois

Jérémy Vaugeois est un voyageur au long cours qui a traversé l’Europe à pied jusqu’à Istanbul quand il avait 19 ans. Un aventurier aguerri, skieur alpiniste, cycliste qui a plus de 70 000km à son compteur, entre la traversée des Pyrénées, Saint-Jacques de Compostelle ou encore la traversée de la Nouvelle-Zélande à vélo. Manager en magasin spécialisé d’équipement Outdoor, charpentier puis télépilote de drone, photographe et assistant-réalisateur, il vit de ses réalisations, aventures, conférences et parutions en presse spécialisée. Il est le co-auteur et photographe du livre Aux pays des brumes.

Les pays baltes à vélo
©Sophie Planque et Jérémy Vaugeois

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