Ánimo, 7 484 kilomètres à pied en Amérique latine, devient un livre
1| Mis à jour le 9 février 2021
Il y a six ans, Elliot et Hervé mettaient leurs sacs sur le dos et partaient découvrir l’Amérique latine à pied. Le projet The 10 Walk était né ! Les deux compères qui se sont rencontrés pendant leurs stages de fin d’études à Hong Kong en 2012 s’étaient fixés comme objectif de marcher 10 000 bornes. Ils ont finalement stoppé leur belle aventure après 7 484 kilomètres en 275 jours de marche. Mais qu’importe les chiffres, ce qui compte, ce sont évidemment les rencontres faites en chemin et la découverte de ces paysages sauvages et grandioses ! Ils reviennent pour le blog Chapka sur cette formidable aventure et nous annoncent la sorte d’un livre retraçant leur voyage.
Entre février 2015 et février 2016, vous avez réalisé 7 484 kilomètres en 275 jours de marche en Amérique latine, soit 26 bornes par jour. Comment vous étiez-vous préparé physiquement et mentalement ?
Notre objectif initial consistait à marcher 33 km par jour pendant 300 jours avec 65 jours de repos, pour compléter l’année. Le problème c’est qu’Elliot était plus fan du beach volley en Corse que des pompes de rando et Hervé semblait trouver une joie immense à se faire détruire les genoux au rugby. Donc “préparation” est un concept un peu flou pour nous…
On a trouvé in extremis THE technique pour nous diriger dans des régions reculées où il n’y a pas de carte. On a préparé notre itinéraire seulement pour les 4 premiers mois mais vu que l’on vous écrit aujourd’hui ça a marché !
La préparation mentale se limitait à notre détermination qui se renforçait dans la cohésion du binôme. Il n’en a pas fallu beaucoup plus pour commander à nos corps de se démener chaque jour pour arriver au bout, étant donné que notre préparation physique s’est résumée à nous dire que la bipédie et 2 millions d’années en tant que chasseur-cueilleur devraient suffire… grosse erreur.
Mais nous sommes partis. Très rapidement, cet objectif naïf et purement sportif des 10 000 bornes s’éloignait de nos mentalités qui devenaient moins compétitives et plus curieuses des écosystèmes naturels et sociaux dans les régions reculées du continent. En passant en Amérique du sud, on a pimenté le parcours en suivant le chemin Incas (merci à notre technique GPS !), l’altiplano bolivien et ces déserts en tout genre (on avait de quoi saler nos œufs durs en traversant les salars de Coipasa, Uyuni et Chiguana), les superbes cordillères chiliennes en tangentant avec la frontière argentine.
Bref, on a troqué des kilomètres pour de l’aventure humaine et naturelle, plus d’autonomie et des conditions plus extrêmes. On dit souvent en résumé qu’on a marché un an avec 10kg sur le dos (sans eau ni nourriture) entre -30°c et +45°C et de 0 à 6 400 m d’altitude.
Vous avez gravi 9 sommets. Lequel était le plus dur à atteindre ?
Le Nevado Sajama, le plus haut sommet Bolivien à 6542 m d’altitude. Cela faisait 6 mois que nous marchions, nos pouls étaient ceux de sportifs endurcis aux environs de 55 pulsations minute. Nous avions en plus pris quelques jours de repos, peut-être trop d’ailleurs, en attendant notre guide et ses 2 compagnons.
L’approche jusqu’au camp de haute altitude (5 700 m) s’est faite sans trop de soucis malgré une bonne giboulée et un petit orage pas forcément rassurant. Tout un groupe est d’ailleurs redescendu mais nous, nous n’avions qu’un essai.
Le départ s’est fait à 2h du matin sous un beau ciel étoilé et une pleine lune qui illuminait l’altiplano. Mais pas trop le temps pour une introspection poétique quand vos doigts vous crient de les réchauffer contre ce froid de canard. La neige de la veille rendait les pas plus compliqués mais on a trouvé un rythme. Arrivés aux pénitents (environ 6 200 m), Elliot galérait plus quand il s’agissait d’enjamber ces lames de glace d’environ 1 m, forgées par le vent et le soleil. Sa concentration fléchissait en même temps que son énergie. Au-dessus de 6 000 m, mieux vaut ne plus trop s’arrêter et enchaîner les petits pas, pour garder le rythme. En plus, avec des sauts de concentration et le pied qui dérape, le rythme est perdu, et l’énergie nécessaire à le retrouver est conséquente à ces altitudes, en plus de jouer contre la montre.
Arrivés au bout des pénitents non sans mal et fatigué, Elliot sonne le glas à une centaine de mètres du sommet, épuisé et n’arrivant pas à se remobiliser.
C’est quoi les plus grosses galères que vous avez eu ? Avez-vous pensé à abandonner à cause de la fatigue ?
Notre ligne de vie était une petite ligne rose digitale qui s’affichait sur l’écran de notre GPS. Notre survie dépendait de notre capacité à suivre coûte que coûte cette trace. Le GPS nous donne notre position avec un curseur et le but du jeu est de laisser ce curseur sur notre ligne rose qui correspond au tracé préparé depuis les images satellites Google Earth.
Sur ce tracé, on ajoutait des points de repères que l’on appelle “waypoints”. Ils permettent de marquer villages, rivières, cols, ou les directions à suivre à des croisements de vallées par exemple (“suivre le chemin dans vallée plus au sud” etc…).
Donc si on maintient notre curseur sur le tracé, on a accès à toutes les informations préparées (waypoints) et celles que le GPS est capable de calculer : les distances, le dénivelé… Si le curseur n’est plus sur le tracé, on perd toutes les informations, et on est aveugle, pour ne pas dire perdu.
On a donc eu des moments forts : la joie de récupérer un chemin après 10 heures sous une épaisse forêt, les pieds coincés dans les lianes et bambous, ou quand on a dû naviguer à vue dans des cordillères enneigées très esseulées…
Pourtant, jamais nous n’avons pensé à abandonner. Certes l’accumulation de jours éreintants peut être un piège, et en ce sens notre périple était extrême dans sa tendance à empiler ces types de jours désagréables. Mais c’est là que la magie opère. On puise collectivement la force d’aller au-delà de tout ce dont on se sait capable, seul et à deux, et on y trouve alors l’excitation de se sentir en pleine possession de son destin. Dans ces moments on cultive une détermination infaillible.
C’est facile à dire mais plus difficile à faire. Quand nous flanchions moralement, nous nous en remettions souvent à la générosité des autochtones, qui n’ont eu cesse de nous aider. Comment vouloir abandonner quand on se sent épaulé par des inconnus qui deviennent des frères, sœurs, parents, le temps d’un repas partagé ou d’une nuit sous le même toit ? Impossible, ce serait trahir leur hospitalité. Il fallait continuer non plus pour notre égo mais pour la joie de prolonger cette chaîne de solidarité que nous avons créé avec toutes ces personnes.
Que faisiez-vous les jours où vous ne marchiez pas ?
On mangeait ! On essayait de synchroniser nos jours de pauses avec des villages de taille importantes ou des villes, pour y trouver le maximum de conforts ; un bon lit d’hôtel, une douche chaude, des restaurants, épiceries/supermarchés, et un cybercafé pour charger nos multimédias sur un Cloud et donner des nouvelles à nos familles.
Aussi et surtout, on passait des heures et des jours à redessiner nos traces quand il fallait choisir et / ou adapter nos itinéraires en fonction des conditions réellement vécues sur place par rapport à la préparation qui s’est faite bien avant. Généralement, comme les PC et connexions internet datent de mathusalem, et que des coupures de courants intempestives détruisaient tout notre travail, on passait des journées entières aux cybercafés. Et dans ces mêmes cybers on se retrouvait aussi à faire des parties Counter Strike en ligne avec les geeks boliviens et péruviens, c’était tellement drôle et un joli flash back de nos années d’ados.
Finalement le projet The 10 Walk est devenu Ánimo. Un livre est d’ailleurs sorti.
Le livre, et aussi l’identité de notre aventure, s’appelle Ánimo. C’est une création assez hybride ; entre journal de bord narré, incluant une centaine de photos dans la mise en page, et des illustrations pour rendre digeste nos conseils pratiques.
On fait appel à beaucoup d’autodérision dans cet ouvrage. Comme on apprenait quelque chose de nouveau chaque jour, et souvent à notre détriment, nous souhaitions rendre hommage à l’ironie et au sarcasme qui nous permettaient de tenir dans les moments chauds.
Notre amie Lisa Keiffer, talentueuse designer graphique et illustratrice, a donc illustré 10 éléments clés qui serviront probablement à n’importe quelle aventure : comment se diriger, où trouver de l’eau, comment cuisiner, comment se défendre contre les chiens sauvages ultra agressifs, comment gratter l’amitié dans les villages afin d’obtenir des bonnes informations, etc…
En tant que novices, nous nous sommes attachés à garder cet angle, pour nous exprimer aussi à des personnes peu expérimentées qui veulent se lancer/se rassurer sur des questions dont on peut faire tout un patacaisse.
Enfin, c’est notre parcours de vie, pendant cette année de marche et aussi pendant les 4 ans d’écriture, édition et illustration qui ont suivi. Notre conclusion et nos épilogues personnels décrivent la continuité de ce voyage et on y a écrit toutes nos préoccupations, nos ambitions, et nos changements de vie et de valeurs suite à cette année. Ce premier livre n’est que le début d’une longue aventure…
Vous soutenez aujourd’hui des projets écologiques et solidaires en France. Racontez-nous.
Il faut d’abord souligner qu’au-delà de vouloir soutenir des projets, il était impératif d’agir sur nous-même. Nous sommes en effet les héritiers et les “vainqueurs” de ce système court termiste et destructeur. Au départ, ce que nous exprimions naïvement comme un retour à la “Nature”, et une envie de nous dépasser, était en fait l’expression d’un manque “d’être” profond.
Notre système culturel nous éloignant toujours plus de l’animal social que nous sommes censés être, il était impératif de partir à sa reconquête. Pas après pas, le décalage entre notre épopée d’auto-rééducation et la société actuelle devenait flagrant : sobriété et instinct (côté animal) contre sur-satisfaction des besoins primaires, culture des liens (côté social) contre individualisme et déconnexion à la “Nature” (d’ailleurs l’appeler Nature nous en sépare définitivement).
C’est donc réellement ça notre marche, c’est une “crapahute” comme on l’appelle avec quelques valeurs fondamentales redécouvertes pas après pas :
DE L’IMAGINATION POUR (SE) REINVENTER
DU COURAGE POUR SE LANCER
DE L’ENTRAIDE POUR AVANCER
Depuis notre retour, ces trois valeurs structurent nos vies et nous permettent de contribuer humblement à la transformation de notre monde en crise. Ce livre est donc un vecteur qui nous permet de soutenir et collaborer avec Julien Moreau et la Ferme Biologique du Bec Hellouin.
Ces projets sont portés par des êtres humains qui nous questionnent sur les valeurs profondes de réussite au sein du contrat social de nos sociétés occidentales. En plus, leurs actions sont stratégiques : Julien travaille sur les questions d’éducation en créant son label d’école écologique. La Ferme est quant à elle pionnière d’une agriculture qui produit non seulement des aliments sains mais produit aussi du vivant : biodiversité, liens sociaux, paysages comestibles, tout en démontrant un modèle économique viable qui redynamise des économies locales.
Quand avez-vous eu en tête de développer Ánimo, pendant le voyage, à votre retour en France, plus tard ?
C’est en rentrant en France qu’on a commencé à écrire, plutôt dans un souci de sauvegarde de mémoire pour nous et nos proches. De fil en aiguille et en rencontres, on a compris que nous pouvions délivrer une histoire assez universelle, intemporelle, avec notre expérience propre, nos valeurs, qui peuvent peut être résonner chez d’autres.
La prise de conscience de notre système destructeur, on l’a véritablement vécu sur place, même si nous avions avant de partir une compréhension intellectuelle des problématiques, comme beaucoup de gens. Mais quand tu marches, que tu vois et vis la souffrance des gens et des écosystèmes, ta compréhension intellectuelle devient comme obsolète et elle est doublée par une rage passionnelle qui s’ancre profondément pour participer à arrêter ces désastres.
Comment pourrions-nous continuer à soutenir un modèle qui appauvrit, divise, et meurtri des communautés et écosystèmes vivants, qu’ils soient humains, végétaux, animaux ?
D’autant plus que ce sont les personnes qui nous ont aidés qui sont en première ligne des bouleversements que notre modèle de société impose.
Au Guatemala, nous avons vu les ravages de la monoculture de champs de palme, les épandages de pesticides directement sur les travailleurs dans les bananeraies au Costa Rica, la destruction de faune sauvage pour le creusement du port en haut profonde au Costa Rica, des mines de lithium en Bolivie, l’expropriation de communautés Mapuche au Chili pour la construction de monstrueux barrages hydroélectriques qui allaient inonder des vallées aussi belles que pleines d’une diversité culturelle indigène…
Nous avons pris la gifle de notre vie en comprenant à quel point nous sommes le problème : deux vingtenaires trop confortables toute leur vie qui traversent le globe en avion pour aller quémander de l’aide aux indigènes, parce qu’ils ont décidé de se prouver quelque chose et de s’auto-insuffire ; c’est tout notre modèle trop sophistiqué qui transpire dans notre projet.
En s’engageant tous les deux dans entreprises qui délivrent un modèle économique plus circulaire, social, local, nous nous sommes aussi clairement « rééduqués » au retour du voyage. Depuis 5 ans, nous comprenons les enjeux de grandes industries dans lesquelles nous travaillons, textile pour Hervé chez Patagonia, recyclage pour Elliot chez Lemon Tri. Même en travaillant dans des structures exemplaires comme les nôtres (BCorp, Entreprise de l’ESS et d’insertion..), on côtoie les problèmes de plus près, puisque nos entreprises s’y attaquent. Les problèmes macro-économique, dont on a connaissance, nous les avions observé au niveau micro-économique sur notre chemin.
Notre mission désormais, avec le livre mais aussi ce mouvement Ánimo, est d’éveiller sur le fait qu’une transition n’est pas assez, c’est une transformation dont notre modèle a besoin. Cette transformation, elle commence avec chacun d’entre nous en remettant au cœur des discussions les liens sociaux et complexes que nous avons avec les écosystèmes naturels et sociaux.
Est-ce que vous avez entrepris de nouveaux voyages depuis 2016 ? Est-ce que vous avez de nouveaux projets d’expéditions ?
Entre 2016 et 2018, nous avons pris goût à l’alpinisme, un peu comme une suite logique de notre aventure. On s’est pas mal entraîné à Chamonix sur l’Aiguille Verte et autre. C’était très drôle parce que Hervé n’ayant fait de ski, on faisait nos ascensions hivernales avec nos approches en raquette. Les gros durs de Cham’ nous regardaient sérieusement de travers mais on rigolait tous beaucoup. On a tellement galéré avec les raquettes qu’on s’est construit un cardio de feu pour repartir en Bolivie en 2018 pour l’ascension de 6 sommets en autonomie : Parinacota, Huaya Potosi (voie normale et “ruta francesa”), Pequeno Alpamayo (voie “directissima”), Condoriri et Illimani : 20 jours, 6 ascensions, on était content et surtout seuls sur tous les sommets (sauf la route normale du Huayna) dans ces magnifiques cordillères.
Il y a sûrement un petit livre et film autour de ça que l’on peut faire. On a pris quelques belles photos et surtout des vidéos assez marrantes !
Nous poursuivons notre rapprochement à la montagne mais depuis ce retour bolivien, nous nous sommes concentrés sur Ánimo. Aussi, on s’est dit que reprendre l’avion pour faire de l’alpinisme alors que nous avons encore tant à faire en France, c’est absurde… Disons que notre expédition depuis 2 ans, c’est l’écriture, l’édition, illustration de ce livre, avec notre équipe, Lisa, Esope, et la réalisation du film avec Newwoc. C’est compliqué de construire un entraînement et des expéditions tout en travaillant à temps plein dans nos entreprises, et en plus sur nos projets. Et puis les dix années à venir seront faites de crises toujours plus profondes, alors questionner nos valeurs c’est aussi questionner la décence de nos hobbies en lien avec les crises qui sont sur nos têtes. Peut-être que la vraie expé c’est celle de changer de mode de vie.
Mais tout de même escalade, et surtout l’alpinisme, nous permettent de vivre intensément à deux en continuant de cultiver notre binôme et cette amitié incroyable. Et quand on nous demande à quoi ça sert l’alpinisme, on poursuit notre chemin sans répondre et en rigolant : la cordée, c’est la plus belle des aventures humaines.
1 commentaire
Vever
17 mars 2021
Super article ! Merci Chapka!