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Le blog voyage by Chapka

Les Cahiers Vagabonds font la fête autour du monde

Article rédigé par Marc Nouaux. Photographies de Mélissa Pollet-Villard. Blog Les Cahiers Vagabonds.

Le monde a besoin de fêter, de célébrer, de s’amuser. Des tréteaux et des planches pour former de grandes tables, des enceintes ou des instruments pour jouer ou diffuser la musique, des grandes gamelles de ce qui est bon, des bouteilles ou des pichets de vin, de bière ou de jus de fruit… Au fond de la steppe de Patagonie, dans un jardin d’un quartier résidentiel de la banlieue de Melbourne, dans la cour d’une petite maison de Tunis ou encore le long du fleuve Amazone : le monde entier fait la fête, car il n’y a que cela de vrai, de bon, de réconfortant, de passionnant.

Voyager à travers le monde est une merveilleuse façon de découvrir et d’apprendre, surtout quand on a la chance de se trouver au cœur d’une fête, parfois même par hasard. C’est ainsi que les événements se vivent le mieux, je crois : par surprise. Je descends de l’avion à Bangkok pour rejoindre au bout du monde celle qui deviendra l’amour de ma vie. La nuit de transition dans la capitale thaïlandaise avant de rejoindre le Cambodge est une véritable invitation à oublier rapidement d’où l’on vient : la fête de l’eau est célébrée à la fin de la saison sèche en Asie du Sud-Est, alors tout le monde sort dans la rue avec l’air farceur. L’afflux de touristes dans le pays permet aux locaux de s’amuser un peu et de balancer des grands seaux d’eau glacée sur les promeneurs interloqués : au sortir d’une quinzaine d’heures d’avion, la douche gratuite et gelée au cœur d’une foule en délire nous rappelle qu’il est bon de savoir s’adapter aux coutumes, sous peine de passer un mauvais moment. On prend soi-même un pistolet à eau et on y va gaiement pour se venger, le tout, en riant de bon cœur.

« Se trouver par hasard à une fête est devenu une agréable habitude que je partage avec Mélissa »

Un tour au musée Guggenheim de Bilbao ? La ville est parée de bleu et blanc pour les férias locales, la bière coule à flot, la jeunesse hurle et danse au son des percussions des bandas locales. Une promenade le long de la Romantische Strasse, cette route qui serpente entre les villages médiévaux de Bavière ? C’est la fête à Rothenburg ! Nous avançons dans une petite salle, un élu local prononce un discours auquel nous ne pipons rien avant d’inaugurer un fut de bière. Là, nous comprenons mieux, surtout quand une serveuse nous dit « free beer ». Un grand moustachu longiligne à l’impeccable gilet doré tire les bières et la miss locale, tenue bleue, jaune et rose pâle, banderole de gagnante en diagonale, sert la chope au litre. Pendant ce temps, les jarrets de porc arrivent dans les assiettes à coup de kilos, servis par des grandes serveuses aux seins imposants vêtues de chemisiers serrés et de grandes jupes traditionnelles à carreau.

faire la fête autour du monde
Attention à la mouuuuusse ! ©Mélissa Pollet-Villard

Une étape à Santa Rosa, au bord de l’Amazone, en attendant de monter dans un bateau ? Le port est désert, l’embarcation ne viendra pas avant deux jours peut-être. Mais le centre du village est animé, les gosses jouent au ballon pendant que les autres, jeunes comme vieux, se déhanchent sur des rythmes de cumbia ou discutent autour des tables. Les grillades de porc et de poulet s’envolent dans l’air humide et les toits en feuilles de palmier tressées permettent aux gourmands de siroter une bière à l’ombre.

Nous choisissons un appartement à San Telmo, le quartier bohème de Buenos Aires ? Nous habiterons calle Defensa, dans une chambre avec vue sur la feria organisée chaque dimanche dans la rue transformée en longue avenue piétonne bordée d’étals. Le soir, quand la nuit s’approche, tandis que les exposants font claquer la ferraille en rangeant leur installation, les promeneurs bourrés se mêlent au défilé de danseurs qui avancent déguisés sur des rythmes de samba. Au balcon, nous applaudissons, forcément.

faire la fête dans le monde

« L’Argentine, quelle délicieuse idée de la fête »

Un anniversaire ? Des retrouvailles ? Une victoire de la sélection nationale de football en Coupe du monde ? Asado, bien sûr ! L’asado, moment opportun pour se retrouver autour d’une parilla fumante, où les morceaux de bœuf ou de mouton sont cuits avec précision par un chef de barbecue intransigeant qui ne laisse à personne d’autre le soin de gérer le travail. L’asado appelle tout de suite l’Argentin à un moment de bonheur, de partage surtout. Les morceaux de viande sont distribués à tour de rôle dans les assiettes qui ne se vident jamais, les feuilles de laitue, les rondelles de tomate et le pain à la mie généreuse accompagnent les grillades et les verres sont pleins de Malbec, de Quilmès ou de Fernet-Branca, cet apéritif italien à base de plante qui a un certain succès en Argentine. Il ne faut pas être un couche-tôt pour apprécier la soirée, qui est souvent rythmée par la cumbia : l’happy hour s’arrête à 22 h, la jeunesse se retrouve vers 23 h et les soirées s’étirent jusqu’au petit jour… Rien d’étonnant, alors, de se retrouver au cœur d’une milonga cachée dans les ruelles de San Telmo : dans ces établissements, on danse le tango loin des shows pour touristes. Une fois les amateurs rassasiés, place à un vieux chanteur qui approche les quatre-vingt ans, accompagné d’un jeune violoniste et d’un jeune pianiste. Il est entre 2 et 3 heures du matin, l’oiseau de nuit se pare de sa plus belle voix pour charmer son auditoire, tandis que les notes nostalgiques et langoureuses de ses musiciens vous nouent le cœur.

Un tango dans une milonga porteña ©Mélissa Pollet-Villard

L’Argentine aime tellement envelopper d’amour ses visiteurs qu’elle vous envoûte assez vite. Une rencontre avec un étranger est un prétexte parfait pour une invitation en famille. Nous filons en bus jusqu’à Santa Rosa de la Pampa, pour un week-end chez la mère d’une amie de Buenos Aires. La ville n’a pas beaucoup d’attrait mais pas loin de la rivière, il y a un parc avec de nombreuses parillas et tables. Le dimanche midi, tío Carlos fait cuire le bœuf tandis qu’autour de la table, la gueule de bois est accablée par le soleil printanier. Il faut dire que la veille, c’était une sacrée bringue : une cousine fêtait ses quinze ans… Un sacré cap en Argentine ! L’anniversaire des quinze ans se célèbre en grande pompe, comme pour un mariage. Toute la famille, les voisins et amis proches sont invités pour ce moment qui fera passer la jeune fille au statut de femme… La concernée peut choisir cette fête où l’on ne lésine pas sur les moyens – un jour, un agriculteur qui nous a pris en stop dans le nord du pays nous a dit qu’il allait tuer un bœuf et trois moutons pour l’occasion ! – ou bien se faire payer un voyage. La petite Lola chez qui l’on passe le week-end a choisi : elle aimerait aller à DisneyLand en Floride avec sa mère plutôt que de lui faire dépenser des sous pour une fête.

L’asado argentin, ou le cauchemar des végétariens ©Mélissa Pollet-Villard

« Les fêtes religieuses ont un tel poids en Tunisie qu’elles régissent le rythme du quotidien »

Traversons maintenant l’Atlantique dans l’autre sens. Le hasard de la vie peut vous conduire en Afrique du Nord, en Asie ou en Amérique du Sud pour des voyages, des expatriations ou des PVT, qui sont un peu des deux à la fois. Lors de notre arrivée à Tunis, à la fin du mois d’août, la ville est assommée par le vide : l’Aïd se fête en famille, loin de la rue. Les moutons ont été promenés et cajolés – dans certains cas brossés avec amour ! – par les enfants la veille et sont désormais prêts à être sacrifiés par le chef de famille. Nous marchons comme des zombies dans les rues désertes qui se remplissent seulement l’après-midi, quand certains font brûler les cornes des sacrifiés sur le trottoir. Le parfum n’est pas terrible. Le lendemain, les boyaux sèchent accrochés à tous les pas de portes : les merguez sont prêtes !

Les fêtes religieuses ont un tel poids en Tunisie qu’elles régissent le rythme du quotidien. Prenons le ramadan, célébré en mai 2019. Normalement théâtre d’accrochages, insultes ou autres coups de klaxons à la tombée de la nuit, le rond-point en bas de chez nous est seulement balayé par le vent lorsque débute les festivités liées au ramadan. Les familles se retrouvent et rompent le jeûne autour de belles gamelles qui se partageront jusqu’à tard. Vers minuit, les rues sont bondées, surtout en bord de plage ou vers les fêtes foraines : on part manger sa glace en famille, profiter d’une nuit fraîche. Enfin, on va se coucher, jusqu’à l’appel très matinal de la prière, vers les 4 heures du matin en mai.

Comme dans de nombreux endroits au monde, on aime beaucoup se retrouver autour de la table en Tunisie. Chez Rafika et Baboudi, nos voisins, la porte s’ouvre facilement. Un café turc est proposé si c’est le matin ou un thé aux pignons si c’est l’après-midi. On s’assoit autour du canapé, on discute autant que l’on respecte le silence. Si l’on est invité à manger, on ne se lasse pas des délicieux plats de Rafika, ses doigts de Fatma (feuilles de brick fourrées aux œufs), ses nwassers à l’agneau (petites pâtes carrées) ou son couscous aux légumes. Les nombreux plats posés sur la table se dégustent dans une ambiance apaisée à peine troublée par les petits enfants qui amorcent un match de foot dans la maison.

Parfois, Rafika fait monter un plat chez nous, s’il y a une fête, « pour que vous découvriez notre culture ». Pour le Mouled, le jour de la naissance du prophète Mahomet, c’est l’assida zgougou, une crème préparée à base de graines de pin d’Alep. Comme tout le monde veut nous la faire découvrir, les amis, les élèves de Mélissa et les voisins nous en apportent chacun un pot ! Pour la nouvelle année du calendrier musulman, il faut goûter à la mloukhia, plante qui donne son nom à ce plat préparé à partir d’une poudre verte, en ragoût d’agneau ou de bœuf et qui se mange en trempant dedans un pain généreux en mie.

A force de partager du temps en famille, nous sommes conviés au mariage traditionnel de la cousine. La fête s’étale sur la semaine, en plusieurs temps. D’abord, seuls les proches sont concernés. Hommes et femmes se séparent lors des premières soirées et tout le protocole est bien huilé : au premier étage de l’immeuble familial, chez les parents, Mélissa rend visite à la mariée qui attend sur son lit avec une tenue traditionnelle que chacune lui dépose un cadeau pour son futur foyer, comme un kit de gel douche, par exemple. Les bijoux sont ostensiblement montrés, les talons sont le plus haut possible, les robes brillantes sont plutôt moulantes mais sans jamais tomber dans le vulgaire. Le lendemain, un concert est donné dans le chapiteau éphémère installé dans la cour.

A l’étage du haut, dans l’appartement du frère de la marié, les hommes sont réunis autour du canapé, véritable lieu de rassemblement. Les anciens échangent quelques discussions courtoises, les plus jeunes scrollent sur les réseaux sociaux. Un jus de frais ou d’orange est d’abord servi, suivi des pâtisseries. Ensuite, vient le thé, puis les petits fours salés. Une fois ces derniers servis et mangés, l’assemblée commence à se lever et à sa saluer, il est temps de rentrer. Le dernier jour est le moment phare : une salle immense est louée dans la banlieue de Tunis et tous les voisins et cousins éloignés sont invités car plus il y a de monde, plus on estime la fête réussie. Ce jour-là, dans l’enceinte où le kitch est érigé en norme décorative, nous sommes plus de deux cent personnes, à regarder les mariés assis sur un canapé posé sur une estrade. Les deux jeunes amoureux, côte à côte, regardent leurs invités se plier au même protocole que la veille : jus, pâtisseries, thé, petits fours. La Tunisie étant un pays ouvert, l’alcool peut se trouver sur le parking, à l’abri des regards. Entre deux services, la musique est poussée à son maximum, presque assourdissante, et les proches des mariés entament quelques pas de danse où l’on mesure la souplesse des déhanchés des hommes comme des femmes. Le must du show, ce sont les « youyou » hurlés par les femmes : on ne s’en lasse jamais !

Un divan à Tunis ©Mélissa Pollet-Villard

« En Australie, la moindre réunion de famille vous fait voyager »

Après un PVT en Argentine et une expatriation en Tunisie, nous filons en PVT en Australie : ne me demandez pas pourquoi, il n’y a pas de logique et la vie est bien mieux ainsi ! Employés à mi-temps par Jan et Ilaria dans la campagne victorienne à cinquante bornes de Melbourne, nous filons passer Noël chez leurs parents à Brunswick, au nord de la ville.

En Australie, la moindre réunion de famille vous fait voyager : Jan est originaire de Pologne et les parents d’Ilaria sont d’Italie et d’Ecosse. Les voisins se joignent à la grande tablée installée dans le jardin : un psy revenu de quelques années au Québec, deux retraités sur le point de partir en tournée en Allemagne avec leur chorale et une amie née en Inde mais qui a toujours vécu en Australie. Après un apéro accompagné de hors d’œuvre classiques, les convives se servent directement au buffet : Crevettes sautées au barbecue, salade de choux, mélange de champignons et d’épinards à l’italienne préparés par Francesca. Le dîner est vite expédié pour faire place au digestif, un coup de la vodka, un coup du Prosecco, dans une nuit douce de début d’été austral à peine perturbée par le bruit répété des coups de marteau assénés par Jan, parti aider le voisin à monter un panier de basket qu’il compte offrir le lendemain à son fils. Le lendemain matin, après avoir été ouvrir les cadeaux avec les enfants, le père d’Ilaria offre deux options : alors que l’on est encore en belle gueule de bois, il y a le café d’un côté et le champagne au jus d’orange de l’autre. Tradition familiale oblige, nous voici en train de déguster cette orangeade pétillante et surprenante, accompagnée d’un morceau de Panettone. Le déjeuner, organisé dans la famille polonaise de Jan, est un traquenard en règle : les anciens vous guettent avec des shots de vodka ou des bières bien fraîches et réconfortantes tandis que le soleil caniculaire fait souffrir les convives. Le buffet est prodigieux et la dinde et le jambon rôti trônent en vedettes ! Une fois achevé le repas, là aussi vite expédié, les anciennes enchaînent les pas de danse tandis que certains commencent à accuser le coup avec le soleil de plomb.

Quelques mois plus tard, alors que nous avons pris la route du nord australien avec notre van, le confinement nous intime l’ordre de nous trouver un endroit où demeurer. Gentiment, Jan et Ilaria nous invitent à regagner le Victoria. Les semaines passent et vient Pâques, encore un moment de fête : contournant quelque peu la règle des réunions familiales, c’est à la campagne que les parents de Jan et d’Ilaria viennent retrouver les enfants et petits-enfants.

A toute berzingue ! ©Mélissa Pollet-Villard

Les gamins courent dans le jardin à la recherche des chocolats portés par les cloches, nous nous régalons le midi et achevons le repas avec une bouteille de Calvados spécialement achetée par Ian, le papa d’Ilaria. Curieux de cette histoire de « trou normand » que je lui ai un jour compté, il a dégoté une bouteille au Victoria Market de Melbourne afin de vérifier l’efficacité de cette tradition française. Les fêtes sont toujours un prétexte à la ripaille car il y a beaucoup de bonheur à passer du temps à table, à régaler les papilles et discuter de mille choses. C’est aussi, pour le voyageur, un témoignage des habitudes et de la façon dont se régissent les relations sociales en famille ou entre amis.

Quelques jours après ce Pâques du bout du monde qui sert aussi d’adieux à toute la famille, nous rentrons en France. Presque quarante heures de voiture, d’avion et de bus pour nous mener droit chez les copains de Bordeaux. Sans surprise, la première chose que nous avons envie de faire en arrivant, c’est la fête ! 

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