Chypre : le tour d’une île coupée en deux
1| Mis à jour le 16 juin 2020
Un séjour raconté par Romain Hamon
Cet été, je suis parti faire le tour de Chypre, une île partagée entre deux Etats et dont la frontière est encore organisée aujourd’hui par les services des Nations Unies. Au sud des barbelés, la République de Chypre, Etat membre de l’Union Européenne aux influences grecques. Au nord, l’Etat de Chypre du Nord, uniquement reconnu par la Turquie et dont la population est en très grande majorité turque. La capitale de l’île de Chypre, Nicosie, reste à ce jour la dernière capitale internationale coupée entre deux Etats.
Histoire et Géopolitique : Chypre, une île fracturée
Le destin de Chypre aurait certainement été très différent si l’île n’avait pas été située ainsi en mer Méditerranée orientale. Pas trop loin de la Grèce, ni trop loin de la Turquie, il n’en fallait pas plus pour faire de Chypre un territoire convoité et un terrain de « jeu » des différentes guerres entre l’Occident et l’Orient.
Influencés dès l’Antiquité par les civilisations mésopotamiennes, égyptiennes, phéniciennes, hellénistes et perses, les Chypriotes se passionnent pour la culture grecque. L’hellénisation de l’île se fera au huitième siècle av. J-C. Après l’éclatement de l’Empire Romain au IVème siècle et un semblant de christianisation, Chypre est conjointement gérée par les Byzantins et les Omeyyades jusqu’au XIIème siècle. Durant la troisième Croisade, Richard Cœur de Lion capture le gouverneur byzantin de l’île et offre le trône de Chypre à Guy de Lusignan, roi déchu de Jérusalem, vaincu par les armées de Saladin deux ans auparavant. L’île est administrée par le Royaume de France entre 1192 et 1489. Ils seront ensuite remplacés par les Vénitiens jusqu’en 1571 avant l’invasion ottomane obtenue dans un bain de sang à Famagouste. Trois cent ans de domination turque (alors qu’une bonne partie de l’île est peuplée par des grecs) avant que Chypre ne soit rétrocédé à l’Empire Britannique (1878-1960).
L’indépendance de Chypre est amorcée dès les années cinquante par la communauté grecque de l’île, dont une très grande partie (95.7 % selon un référendum organisé par l’église orthodoxe) souhaite être rattachée à la Grèce. Athènes avait eu l’opportunité d’acheter Chypre à Londres au début du siècle mais n’avait pas donné suite. L’archevêque Makarios, porte-parole des Chypriotes grecs, obtient l’acte d’indépendance en 1960 non sans quelques violences entre indépendantistes et colons britanniques. Il devient ensuite un Président populaire de la République de Chypre, garantissant à la communauté turque des postes au gouvernement, dans la fonction publique et dans la police. A cet instant, Chypre aurait pu devenir une nation durable, d’autant plus que le pays avait choisi de rejoindre le mouvement des non-alignés, ni pro américains, ni pro russes. C’était sans compter sur l’année 1974 et le coup d’état opéré par la garde nationale chypriote et piloté par l’extrême-droite grecque. Makarios est contraint à l’exil. La Turquie, qui estime que cette manœuvre menace la communauté turque et vise à rattacher Chypre à la Grèce, envahit le nord de l’île. Les armées d’Ankara forcent au passage les populations grecques à fuir vers le sud (environ 200 000 personnes déplacées). L’ONU et l’OTAN entrent en piste, délogent le pseudo-néo-gouvernement, tandis que Makarios fait son retour au pouvoir dans le sud de l’île, seulement dix jours après l’échec du coup d’état.
La situation actuelle est sensiblement la même qu’en 1974. Au nord, 30 % de l’île est possédée par la Turquie, qui a créé un état reconnu uniquement par Ankara (Chypre du Nord). Au sud, la République de Chypre se développe économiquement, intègre l’Union Européenne en 2004 et utilise l’euro depuis 2008. Nicosie, la capitale, est toujours coupée en deux. La frontière est toujours gérée par l’ONU et les Britanniques possèdent encore deux bases aériennes sur l’île. On compte seulement sept check-points pour passer du nord au sud, et inversement.
La réunification de Chypre est-elle possible ? Dans l’idée oui, mais ce n’est pas si simple. Les chypriotes turques, observant le développement économique au sud (le PIB y est trois fois supérieur), sont davantage favorables à l’union que les chypriotes grecques -la plupart gardent une rancune tenace envers les Turcs, qui ont spolié de nombreuses terres, maisons et commerces grecques. Au nord de l’île, une centaine de milliers d’immigrés de la Turquie continentale sont venus gonfler les rangs des Chypriotes turcs pour travailler et espérer un jour obtenir un passeport européen. Car voici l’un des problèmes que pose ce conflit. La Turquie, candidate à l’entrée dans l’Union Européenne, a envahi un pays membre de l’Union Européenne.
La République de Chypre ne souhaite pas négocier de réunification tant que l’armée turque n’aura pas quitté l’île. Au milieu de ce bazar, les touristes profitent des plages, montagnes et sites archéologiques du nord et du sud de Chypre. On estime que 4 millions de voyageurs ont découvert la République de Chypre l’an dernier. Selon certaines sources dont la fiabilité reste à prouver, il y aurait un million de Turcs continentaux qui viennent visiter le nord de l’île chaque année.
A mon tour de vous faire découvrir les curiosités touristiques de l’île, au sud comme au nord !
Les sites incontournables à visiter à Chypre du Sud
Larnaca
La ville est devenue la principale porte d’entrée du tourisme avec son aéroport international. Allez faire un tour sur son front de mer avec son fort ottoman et découvrez son lac salé où trône fièrement le Tekké-Hala Sultan (un couvent musulman). Pour manger, on vous conseille de vous rendre en bord de mer dans le quartier de Skala. C’est l’occasion de déguster du poisson dans une taverne avec pour compagnon des chats (ils attendent de finir votre assiette !)
Le site archéologique d’Amathonte
A l’entrée de Limassol, le site inclut une agora monumentale d’époque hellénistique et romaine. Les ruines montrent que la ville était cosmopolite et qu’elle abritait un sanctuaire destiné à Aphrodite. Une percée omeyyade au septième siècle eut raison du destin de la ville.
Le site archéologique de Kourion
Il est situé à l’ouest de Limassol. En 365, la ville est ravagée par un terrible séisme. Les ruines offrent un regard sur la vie à l’époque gréco-romaine, puis chrétienne. Le théâtre, très bien conservé, offre une vue à couper le souffle sur la mer Méditerranée. Il pouvait accueillir jusqu’à sept-mille spectateurs. La maison d’Eustolios regorge de mosaïques dont certaines évoquent la naissance du Christ. Il y a aussi les ruines de la maison des gladiateurs et de la maison d’Achille où une mosaïque représente Ulysse sommant Achille de se rendre à Troie pour combattre.
Le château de Kolossi
A l’ouest de Limassol également. Il fut construit par les Croisés chassés de Jérusalem au XIIIème siècle. Pour noyer leur chagrin, les chevaliers y fabriquaient leur propre vin et stockaient du sucre. Pour produire de l’alcool fort ?
Les ruines et les mosaïques romaines de Paphos
Oui, les Romains ont également conquis Chypre et les mosaïques situées à Paphos sont un formidable témoignage de cette époque. Paphos était la capitale romaine de la province chypriote. Entre le fort ottoman et le phare, d’impressionnantes ruines à découvrir dans la maison d’Aïon, de Thésée et de Dionysos. Allez aussi observer l’Odéon, là encore bien conservé.
Les villages de montagne
Trois retiennent mon attention. Premièrement, Lefkara (500 m environ, à moins de ¾ d’heure de route de Larnaca), un charmant village dont la spécialité est la broderie et l’orfèvrerie. De belles balades sont faisables aux alentours. Le second, Pedoulas (env. 1 500 mètres d’altitude), est localisé dans le massif de Troodos avec de jolies maisons à flanc de montagne et une vue superbe sur l’église qui s’illumine de nuit. Enfin, Pissouri, qui a la particularité d’être à la fois un village de bord de mer et de moyenne montagne (environ 275 mètres d’altitude dans le centre historique). N’hésitez pas à loger et à vous restaurer à l’établissement Bunch of Grapes.
Nicosie sud
Son autre nom est Lefkosía. Même si la partie nord possède une atmosphère unique et regorge de sites incroyables, le territoire grecque est idéal pour faire la fête. La petite place jouxtant l’église orthodoxe Phaneromenis regorge de troquets sympathiques avec des terrasses (To Kafeneio, Loxandras, Piatsa Gourounaki). On s’y détend avec une bière Kéo ou un verre de vin. A proximité, découvrez la mosquée Omériyé et son majestueux minaret. Avant l’invasion ottomane, c’était une église érigée par les Lusignan.
Les plus belles randonnées à Chypre du Sud
Chypre, c’est également une destination nature avec des montagnes verdoyantes, des forêts de cèdres et d’autres essences d’arbres, des plaines parfois sèches et des plages tantôt paradisiaques (c’est-à-dire sans touristes russes ou anglais), ou plus aménagées où on peut siroter des cocktails (le sud-est de Chypre, vers le cap Graiko).
Parmi les meilleures randonnées que j’ai pu faire cet été, voici les plus belles :
Adonis Trail dans la forêt de l’Akamas
Le départ de cette balade se fait depuis les bains d’Aphrodite (à l’ouest de Polis). Un sentier qui grimpe difficilement dans les pinèdes (nous y avons croisé un mouflon) mais le panorama en vaut la chandelle. Forcément, faut descendre ensuite ! (8 km aller-retour) A l’arrivée, on peut se rafraîchir sur la petite plage de galets en contrebas.
Les Gorges de l’Avakas
Le départ se fait depuis la plage de Toxéftra, au nord de Paphos. La courte balade (comptez une heure environ) vous permet de découvrir les gorges de l’Avakas et de vous rafraîchir au passage. Au retour, n’hésitez pas à plonger dans la mer Méditerranée et prélassez-vous sur du sable fin.
Les chutes de Kaledonia dans le Troodos
Le début du sentier se trouve environ deux kilomètres au sud de Troodos. C’est une descente facile quoiqu’un peu technique sur 2,5 kilomètres qui mène aux chutes. Possibilité de faire demi-tour ou de poursuivre encore 2 autres kilomètres vers le pittoresque village de Platres.
Persephone Trail dans le massif du Troodos
Le sentier débute dans le centre de Troodos, en face du poste de police. 5 kilomètres de balade facile à travers une épaisse forêt où l’essence dominante est le pin. L’objectif est d’obtenir un panorama sur le massif montagneux et sur un petit lac, malheureusement bien sec au moment de notre passage.
Également possible : l’Aphrodite Trail dans l’Akamas et l’Artemis Trail et l’Atalanti Trail dans le Troodos.
Au retour des randonnées dans le Troodos, vous pouvez aller admirer l’incroyable monastère de Kykkos, fondé au XIème siècle.
Les sites incontournables à visiter à Chypre du Nord
Nicosie nord
Passé le check-point entre le sud et le nord, on s’ouvre à l’Orient et on ressent clairement l’atmosphère turque. Je vous conseille de découvrir le Büyük Khan, un ancien caravansérail qui accueille désormais des expositions de peintures et d’artisanat local. Au pied de l’oratoire musulman, une terrasse a été aménagée pour prendre un café ou une bière. A proximité, on retrouve l’impressionnante mosquée Selimiye. D’extérieur -et même d’intérieur-, on reconnaît bien le style gothique d’une cathédrale du nord de la France. Après l’invasion ottomane, l’édifice fut réaménagé en lieu de culte musulman. N’hésitez pas à vous promener dans les rues du nord de cette ville qu’on appelle ici Lefkoşa.
Pour observer l’organisation de la frontière de plus près (ne prenez pas de photos !), allez-faire un tour du côté du bastion Roccas, près de l’ancien quartier arménien Arab Ahmet.
Famagouste et sa cité historique.
Une étape incontournable si vous êtes friands d’histoire. Famagouste est tristement célèbre pour son siège, qui se déroula pendant l’invasion ottomane au XVIème siècle. La défense vénitienne composée d’à peine dix mille hommes résista pendant un an contre une centaine de milliers de combattants ottomans, tuant au passage cinquante mille assaillants, avant de céder le 4 août 1571. Dans un excès de folie, le général ottoman Lala Mustafa Pacha fit torturer et écorcher vif le général adverse, Bragadino, alors que sa vie sauve avait été négociée par la République de Venise. A découvrir à Famagouste : les remparts de la ville, la cathédrale Saint-Nicolas, construite sur le modèle de Reims à partir du XIVème siècle pendant l’administration française et désormais transformée en mosquée (Bragadino y fut attaché, torturé et tué). A voir aussi : les ruines du Palais du gouverneur et des églises transformées en mosquée ou en hammam.
Kyrénia (Girne)
Son joli petit port de pêche et les ruines de son château, construit là encore pendant la période française dès la fin du XIIème siècle. A quelques kilomètres de la ville, allez faire un tour à l’ancienne abbaye de Bellapaïs.
Informations pratiques pour visiter Chypre Nord
Dans la partie nord de Chypre, la monnaie officielle est la livre turque. L’euro est cependant accepté (il est possible qu’en convertissant, les commerçants arrondissent au chiffre supérieur, ce qui n’a rien de choquant).
Pour se rendre dans le nord de Chypre avec un véhicule de location loué au sud, vous devrez payer une assurance automobile qui correspond à 20 € pour trois jours ou 35 € pour un mois. Il existe sept points de passage entre le nord et le sud, trois à Nicosie (deux à pieds et un en voiture), deux points de passage à l’ouest de la capitale et deux autres à l’est.
Attention : si vous louez un véhicule à Chypre Nord, vous ne pourrez pas accéder à Chypre Sud, d’autant que vos achats réalisés à Chypre Nord (ex : souvenirs) pourront être saisis à votre retour au sud en cas de fouille.
La gastronomie à Chypre
Si on schématise, on peut dire que la cuisine chypriote du sud est grecque et que celle du nord est turque. Ils ont malgré tout en commun l’amour des grillades et des brochettes.
Les plats les plus consommés dans la partie grecque sont la moussaka (gratin d’aubergines et de courgettes avec de la viande hachée et du fromage halloumi grillé), le stifado (bœuf cuit dans le vin rouge), l’afélia (filet de porc mariné au vin rouge) et le kleftiko (ragoût d’agneau et de pommes de terre). La salade chypriote est préparée avec de la salade ou du chou, des tomates, des concombres et du fromage halloumi. Cependant, on consomme également de la salade grecque avec des tomates, de la feta et des olives noires.
Dans la partie turque, on mange le kebab, des brochettes d’agneau accompagnées de salade, de frites et parfois de riz.
Pour un pays montagneux, on s’attend à trouver plus de charcuteries. Or, on n’en trouve finalement assez peu. Du jambon cru et des saucisses s’associent parfois aux olives, à la salade d’aubergine, au tzatzíki, au tarama et au houmous libanais dans les mezzés. Ce sont des portions de nourriture qui viennent accompagner le verre de vin chypriote ou la bière Kéo au moment de l’apéritif.
Malgré l’accès à la mer, le poisson reste un produit de luxe et est assez peu consommé par les locaux. En bord de mer, on trouve tout de même de très bons rougets, daurades et poulpes !
Bon voyage à Chypre !
1 commentaire
Blanc
6 mai 2020
Bonjour, remarquable blog merci à vous , j''aurais une question à vous poser concernant la mosaique avec les 3 personnages sur une de vos photos, avez vos des informations sur les personnages représentés sur cette mosaique... si vous avez l'info ce serait avec plaisir .... bonne soirée merci A Blanc