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Le blog voyage by Chapka

Backtrack, une expédition de pistage animalier au Canada par Marine Menier

Nous nous entretenons aujourd’hui avec Marine Menier. Elle nous présente son expédition, Backtrack, du pistage animalier au Canada, plus précisément dans la Province de Colombie-Britannique.

Racontez-nous votre parcours de voyageuse

Le voyage coule dans mes veines. C’est une réponse un peu commune, mais j’ai été bercée aux histoires d’aventures à l’étranger et d’expatriation. Mes grands-parents, oncles et tantes, sont presque tous nés en dehors du territoire (dans d’anciennes colonies françaises pour être précise), tout comme mes parents, et c’est une histoire qui se perpétue aujourd’hui, avec mes cousins, cousines, et la plus jeune génération. Assez naturellement donc, je me suis tournée vers l’international. J’avais moi aussi envie de partir explorer le monde, les cultures, la nature, ailleurs. J’ai voyagé pour mon plaisir d’abord. Etats-Unis, Mexique, Afrique du Sud, puis je me suis expatriée, entre ma licence et mon master, en Australie pour un an. Là-bas, j’ai découvert beaucoup de choses, y compris la réalité souvent violente de la colonisation. Le vivre ensemble est devenu une composante première de mes réflexions. Master en géopolitique puis spécialisation en gestion de projets internationaux m’ont permis de trouver ma place dans le secteur de l’aide internationale et de l’humanitaire, après un cours passage en ministère. Alors, c’est pour le travail que j’ai commencé à voyager. Depuis 2011, je m’enrichis à chaque déplacement : Moyen-Orient, Asie centrale, Asie du Sud-Est, Amérique latine, et beaucoup de déplacements en Afrique de l’Ouest. Je suis formatrice et consultante pour des ONG. Je viens en appui au personnel international et local, pour leur permettre de réaliser du mieux possible leur mission d’aide aux populations, quel que soit le contexte, en abordant la question de la gestion des risques engendrés par leur métier et leur présence dans des zones complexes. En parallèle de ce métier passion, je continue d’explorer la thématique du lien, entre les humains, mais aussi entre les humains et leur environnement, composante essentielle à mes yeux.

pistage animalier au Canada
Prendre de la hauteur pour lire le paysage – Crédit Marine Menier

Racontez-nous votre entrée dans la Société des Explorateurs Français

Début 2023, j’ai en effet intégré la prestigieuse Société des Explorateurs Français. C’est une structure qui a été créé en 1937, et qui a pour ambition de rassembler des hommes et des femmes aux profils variés, mais partageant l’amour de la découverte, de l’exploration et de la transmission des savoirs. On y retrouve des scientifiques, des chercheurs et chercheuses, des personnes de terrain aussi, des écrivains et écrivaines, des journalistes, des philosophes, des diplomates, des photographes, réalisateurs et réalisatrices, etc. Chacun et chacune, et parfois ensemble, mène des projets en lien avec ces sujets. Parfois tournés vers le passé, mais souvent plutôt pour comprendre demain, et pour explorer nos possibles futurs ! Cette entrée à la SEF est pour moi une fierté, une reconnaissance de mon travail et des idées que je porte, mais je l’aborde avec une immense humilité, car de très grands noms (qui ont nourri mon imaginaire d’enfant, d’ailleurs) y sont inscrits. J’ai pu y entrer car des personnes m’ont fait confiance et pensent que je peux y apporter quelque chose. Je le pense aussi, mais je dois maintenant le démontrer !

Pour votre dernière expédition, vous avez choisi de voyager au Canada, en Colombie-Britannique. Pourquoi ?

En effet, je suis partie en mai-juin 2023, en Colombie-Britannique. C’est ma dernière expédition en date, mais je crois que c’est aussi ma première. Au sens où je définis, en tout cas, l’expédition. Avant, je partais en voyage (ou en mission). Avec des envies, des choses à voir, des choses à expérimenter, et toujours des enseignements, bien sûr. Mais l’expédition pour moi se définit comme un projet avec un sens et un objectif très précis. Et c’est donc la première fois (en dehors des missions humanitaires) que je monte un tel projet de voyage. Avec un budget, un plan, un engagement fort sur les conclusions que j’espère en tirer. Avec une idée très précise en tête. Je suis partie là-bas pour plusieurs raisons. Mon projet de recherche, dont je reparlerais plus bas, possède un domaine géographique d’exploration bien plus vaste et me mènera, plus tard, ailleurs. Mais j’ai souhaité commencer par le Canada, et l’ouest plus précisément, car je me sens profondément attirée par ces terres. Je suis passionnée par les cultures amérindiennes depuis mon enfance. Je me sentais donc plus « armée » dans mes connaissances. Aussi car je suis déjà allée là-bas en 2019, et j’y avais quelques contacts qui allaient m’être très utiles pour la réalisation du projet. Le Canada possède encore aujourd’hui une approche très intéressante du lien au monde sauvage, mais aussi du lien entre les premières nations et les communautés issues de l’immigration. C’est donc un terrain de recherche très riche. Et enfin, la Colombie-Britannique se situe sur les mêmes latitudes que notre vieille Europe. On y retrouve donc une végétation assez similaire, et des espèces animales miroirs. Il me semblait donc possible d’en tirer des enseignements pertinents pour vivre ici, maintenant, en France. Chez moi. Car ce projet de recherche international a une vocation à questionner le lien à mon propre territoire.

Prendre le pouls d’un lieu, c’est s’entendre respirer – Crédit Gaël Faivre

Votre projet s’intitule Backtrack.

Backtrack signifie « remonter la piste ». Il est pour moi à double sens. Dans le domaine du pistage animalier, qui est une pratique que je chérie tout particulièrement car elle enseigne beaucoup (sur soi et sur les liens), il s’agit de suivre une piste en sens inverse : on ne suit pas l’animal, mais on reconstitue son histoire en retraçant ses pas. Symboliquement, j’y attache la définition suivante : il s’agit de retracer ses propres pas, de revenir jusqu’au dernier point de certitude, pour explorer les choix, certains enseignements du passé, pour venir les ajouter à notre grille de lecture contemporaine, pour construire un futur que je souhaite plus harmonieux. Il y a bien entendu un lien fort avec la notion de connexion à la nature, que je ne conçois pas comme extérieure à l’humain. Avec Backtrack, j’explore les savoirs anciens, les sagesses sauvages, pour construire demain. Je suis persuadée que nous pouvons reconnecter à certaines choses, enfouies en nous et non pas perdues, qui nous permettront de composer un avenir désirable. Et je pense que cela passe notamment par le fait de redevenir amoureux de sa terre, de ses terres, de recréer un lien avec notre lieu de vie, sans pour autant se fermer au reste du monde. J’invite donc, au travers de ses projets, du voyage, du film à paraitre et du podcast éponyme, à suivre cette piste : comment redevenir autochtone de ses propres terres, et comment le faire au bénéfice du vivre ensemble.

Se voir, chaque jour, apprendre à se connaitre un peu plus – Crédit Marine Menier

Vous avez choisi de partir sur un cycle lunaire, soit 29 jours et demi. Pourquoi ?

En effet, j’ai décidé de partir pour un cycle lunaire. Ce temps déterminé répondait évidemment aussi à des contingences logistiques. Cette expédition a été en très grande partie financée par des fonds propres. J’ai reçu un coup de pouce de l’association La fabrique de l’aventure (Lons le Saunier 39), et le soutien logistique de quelques partenaires, notamment Chapka, que je remercie. Mais de manière réaliste, il m’a fallu créer un temps dans mon agenda professionnel pour mener à bien ce projet. Un temps où j’allais investir plus d’argent qu’en gagner, évidemment. Je ne pouvais donc pas partir de manière indéterminée.

Lorsque j’ai réfléchi à la durée minimale pour explorer ce sujet, la notion de cycle lunaire m’est venue de manière assez spontanée. Je me sens depuis très longtemps assez reliée à la lune et à ses phases, qui impulse, pour le reste du vivant, beaucoup de dynamiques. Chez de nombreuses espèces, bien plus connectées que nous à leur environnement (en tout cas plus à l’écoute de cette connexion), les phases de lune impacte les déplacements nocturnes (la pleine lune expose d’avantage aux prédateurs par exemple), la recherche de nourriture (les marées permettent l’accès aux ressources halieutiques pour des espèces terrestres), la reproduction (avec les périodes de fécondités qui y sont liées), etc. Partir pour un cycle lunaire, c’était me permettre de passer par ces phases, moi-même, mais aussi de tenter d’observer des changements de comportement sur une boucle complète. Mais pour ne rien vous cacher, ce n’est pas ce qu’il s’est passé! J’ai compris que, si la Lune joue un rôle essentiel dans ces dynamiques, il y a bien plus vaste, que les cycles sont encore plus complexes, et c’est un autre astre qui a rythmé mes découvertes.

Parlez-nous de l’organisation de ce voyage.

Mon itinéraire n’était pas vraiment déterminé en avance. J’avais en tête des lieux et des personnes à rencontrer, mais lorsque je suis arrivée à Vancouver, je n’avais pas l’ébauche d’un agenda. C’est assez contradictoire avec ce que j’ai dit plus tôt, avec cette notion d’expédition planifiée de A à Z. Mais j’avais vraiment très envie, en lien avec cette notion de « nature », de laisser la place au naturel. C’est-à-dire que j’avais un objectif global, envie d’échanger avec des individus sur des sujets précis (j’avais des questions déjà élaborées), mais j’avais aussi envie de vivre cette exploration de l’intérieur. Et donc, suivre le rythme imposé par l’aventure : me rendre là où j’étais appelée, c’est-à-dire invitée, là où les portes allaient s’ouvrir… ou non ! Car j’ai évidemment vécu des déconvenues, il y a eu des choses qui ne se sont pas produites, et d’autres qui se sont greffées au vague plan initial. Je me suis donc déplacée au grès des possibles. J’ai d’ailleurs, de manière très intéressante, suivi, dans mon itinéraire, la course de l’astre majeur qui rythme nos vies, le soleil. Je suis partie vers le Nord-Est, puis à l’Est, puis au Sud, puis à l’Ouest, pour terminer de nouveau au Nord. J’ai pris conscience de cela à mi-parcours. C’est un sujet passionnant, que je traiterais d’ailleurs dans le documentaire. Je ne saurais pas vraiment dire combien de kilomètres j’ai parcouru. Mais tout en restant dans le même Etat canadien, j’ai dormi dans le désert de l’Okanagan, dans les montagnes rocheuses, au bord de l’océan. J’ai eu très chaud mais aussi très froid, le tout en à peine plus de 30 jours ! J’ai dormi parfois dans mon véhicule, parfois en bivouac, et j’ai parfois partagé la vie quotidienne des personnes qui m’ont accueillie.

Vous avez fait du pistage animalier. Racontez-nous.

Le pistage animalier est une pratique qui peut se faire partout, dans les plus grandes étendues sauvages comme en ville (j’anime d’ailleurs des ateliers en France, sur le pistage et la nature en zone urbaine !). Pour moi, elle est très enseignante : elle permet d’une part de comprendre avec qui on cohabite sur un territoire, même sans pouvoir rencontrer ses voisins. Trouver une empreinte, un poil, une plume ou bien une crotte, c’est lire l’invisible, c’est prendre conscience que l’on est pas seul, et qu’il y a une multitude d’autres vivants qu’on ne voit pas toujours, et qui dépendent aussi de la terre que l’on foule. On peut le prendre sous l’angle scientifique, on peut apprendre à nommer les espèces, on peut lire leurs comportements, et les liens qui se tissent entre elles, mais on peut aussi l’aborder d’une manière plus intime, en apprenant peu à peu à reconnaitre les individus eux-mêmes, en percevant les subtilités qui font qu’on « parle » le langage de l’autre, même si on ne se voit pas, même si on ne fait pas partie du même taxon ! Parler pistage animalier avec quelqu’un, c’est toujours la promesse de belles histoires, même si la personne, de prime abord, ne pense pas pratiquer : nous avons tous et toutes à un moment donné, croiser la route d’un indice de présence qui a piqué notre curiosité. Le pistage, c’est l’art de se questionner. C’est à mon sens quelque chose d’essentiel pour construire le futur. C’est l’art de s’émerveiller aussi, c’est une manière de ré-enchanter le quotidien. Et enfin, c’est aussi l’art d’accepter que parfois, il n’y a pas de réponse. Ou qu’on n’est pas encore prêt pour cette réponse. Et croire que peut-être, elle viendra plus tard !

Alors, bien sûr, dans ce projet, le pistage a pris une grande place. J’ai appris énormément de choses en m’immergeant en nature. En laissant mes sens prendre le relai de mon cerveau. En acceptant de poser un regard neuf sur les choses, en acceptant le fait que je n’étais pas de là-bas, avec humilité. Puis, les pièces du puzzle se sont mises en place petit à petit. Grâce à ma capacité d’attention et de décryptage, grâce à quelques connaissances (car l’ouest canadien, comme je le disais, est le miroir de l’Europe) mais aussi grâce à des passeurs et passeuses, qui m’ont transmis des savoirs. Des premières nations, mais aussi des personnes issues de l’immigration, qui ont développé un lien fort avec leur territoire. J’ai pisté des animaux non-humains, mais des histoires humaines également.

Mon approche du pistage est générale. C’est-à-dire que je n’ai pas en tête de pister une espèce en particulier. Je ne suis pas à la recherche d’une rencontre précise. Je laisse venir. Et chaque piste remontée, qui parfois provoque la rencontre bien sûr, est venue me faire passer des « niveaux ». J’ai trouvé tout aussi impressionnante la piste de ce petit vison sur le bord d’une rivière, témoin de son agilité, de sa capacité à passer entre des branches très serrées, à se mettre debout sur ses pattes arrière, ou à faire de très longs bonds, que la piste du cougar que j’ai trouvé à quelques dizaines de mètre de mon tarp, lors d’une nuitée sur une plage sauvage. Le cougar est élusif, le loup aussi dans une certaine mesure. Trouver des preuves de leur présence est quelque chose de très fort. Ca nous remet à notre place.

Voir des ours noirs est plus aisé. Les traces de leur passage sont évidentes, bien présentes, partout, même dans des zones urbanisées. Cependant, quand on se promène en forêt et qu’on tombe sur une empreinte ou une crotte d’ours, il se passe quelque chose d’autre : on ne se demande pas si c’est un ours, on le sait. Par contre, immédiatement, ce sont d’autres questions qui viennent remplacer la première : mais de quand est-ce que cette trace date ? Est-ce qu’elle est récente ? Est-ce qu’il est encore là ? Dans quelle direction est-il parti ? On se pose ses questions car on ressent que l’ours peut, dans de rares cas, être un danger pour nous. Alors le pister, par volonté ou par hasard, c’est spécial. On passe grâce à lui à un autre niveau de questionnement. Ce n’est plus « qui est là », mais « quand et comment ». En ce sens, il est pour moi plus enseignant que le loup par exemple. Une empreinte de loup est un peu plus difficile à identifier, elle peut être confondue avec celle d’un gros chien. Alors, on a parfois du mal à dépasser cette première étape de l’identification pure.

Ou alors, cela mobilise encore plus de connaissances profondes de l’écosystème, des groupes d’individus locaux… et c’est alors évidemment différent !

C’est avec le cougar qu’il faut parfois partager le campement – Crédit Gaël Faivre

Quels sont vos futurs projets ?

Pour le moment, je n’ai pas de gros projets de voyage. Backtrack continuera ailleurs, c’est sur. Et j’aimerais prendre la mer bientôt. Mais avant tout cela, j’ai envie d’honorer au mieux cette expérience canadienne en réalisant ce film qui sortira en 2024, et que nous présenterons en festival. J’ai à cœur qu’il génère des échanges. C’est pour moi la richesse de l’expédition que j’ai mené, et qui d’ailleurs a été l’objet d’un suivi par des établissements scolaires. Je dois aussi reprendre mes notes, ce dense carnet que j’ai emmené avec moi et dont j’ai noirci les pages, pour partager aussi les choses qui sont inscrites entre les lignes d’une telle expérience.

Néanmoins, je profite de mes déplacements professionnels encore réguliers pour continuer d’apprendre. J’étais de retour sur le sol australien cet été pour animer une formation, et j’ai saisi cette occasion pour partir sur la piste des « plus belles crottes du monde » en Tasmanie. J’y ai pisté de nombreux animaux, et j’ai trouvé ce que j’étais partie chercher : du savoir, de la connaissance, mais avant tout, de l’émotion et le sentiment de faire partie d’un grand tout, où chaque chose dépend d’une autre.

Je continue d’animer des formations de préparation au voyage, et d’apporter un soutien sur-mesure aux personnes qui en ressentent le besoin, via Get ready ou d’autres partenaires.

En France, j’anime des ateliers sur la connexion au sauvage, qui a pris un peu plus de place dans l’esprit des gens, je crois, ces dernières années. Mais j’ai à cœur de toujours proposer des contenus qui permettent de développer des compétences dites « techniques » (comme les premiers secours en voyage, le choix du matériel, la préparation logistique, les télécommunications, etc.) et des compétences plus « subtiles », autour de la psychologie, de la lecture d’environnement, de l’interculturalité ou encore des enseignements des peuples premiers, nomades ou plus sédentaires ! Chaque projet que je soutiens est pour moi une superbe occasion de connecter avec l’individu, ou le groupe, qui souhaite expérimenter : expéditions scientifiques, tournages audio-visuels, ou voyage initiatique personnel, chaque aventure est le témoignage d’une envie, d’un élan, d’une créativité qu’il faut tout mettre en œuvre pour soutenir !


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