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Le blog voyage by Chapka

Expatriation : Le premier jour dans un nouveau pays, entre doutes et espoirs

Article rédigé par Marc Nouaux. Photographies de Mélissa Pollet-Villard. Blog Les Cahiers Vagabonds.

Une lumière, un frisson, une odeur, une peur, une image, un son, une parole : tout le monde se rappelle d’un détail lors de son premier jour dans un nouveau pays. Le PVT, l’expatriation, le grand voyage : lorsqu’on est au point de départ d’une nouvelle et longue aventure, les doutes et les espoirs se mêlent pour former un cocktail pétillant. La fatigue de l’avion, le décalage horaire, l’incertitude et l’émotion d’enfin accomplir un rêve ou un objectif, sont autant de paramètres qui chamboulent les sentiments. De Tunis à Adelaïde en passant par Buenos Aires et Athènes, je vous emmène avec moi lors de chaque premier jour de mes quatre expatriations.

Buenos Aires, octobre 2016 🇦🇷

Des tangos plein la tête et des heures à bouillonner, piaffant d’impatience, ma main collée à celle de Mélissa. Il s’agit de notre première fois en Amérique du Sud après des années, chacun de notre côté, à rêver de ce territoire fantasmé. Le vent de l’automne brésilien a servi d’amuse-bouche lors de l’escale à Sao Paulo, deux heures plus tôt : nausée forte, fatigue accablante, impatience et frissons garantis. L’Amérique du Sud ouvre ses portes argentines : la nuit noire laisse scintiller une infinité de lumières, Buenos Aires brille de ses millions de lucioles. Un tarmac frais, des traits tirés et des euros planqués dans toutes les parties du corps, chaussettes, caleçon, doublure de sac. La peur un peu stupide d’être dépouillé à la sortie de l’avion, dans une ville à la réputation peu flatteuse.

C’est une première tentative de vie vagabonde, le premier nouveau départ : une seule envie, un seul but, le dépaysement, la découverte. Le chauffeur de taxi réservé grâce à une connaissance donne rendez-vous « au Mac Donalds ». Merde, le Mac do, déjà. L’uniformisation de la planète, qui fait de chaque aéroport un centre commercial mondialisé : pour le choc culturel, on repassera. Ivan est là, avec sa casquette kaki ornée d’une étoile rouge, un tee-shirt à l’effigie de Che Guevara. Un teint hâlé, une petite moustache, des bottines marron : un vrai profil de guérillero, du genre à prendre le maquis avec les Picaros d’Alcazar. Enfin un truc qui correspond à ce que j’avais fantasmé, on interprète les signes comme on le souhaite. Un gentil, cet Ivan, qui me rappelle qu’il faut faire gaffe quand on retire des pesos argentins : ici, on récupère le cash avant la carte. Sans lui, je n’aurais pas fait demi-tour à temps pour retrouver ma Gold pendue à la machine.

Des immenses boulevards qui s’ouvrent dans l’obscurité, les flashs des lampadaires crépitent, la ville est un tourbillon : Buenos Aires ne semble jamais s’arrêter ni commencer, elle est tentaculaire. Les bâtiments se distinguent mal, cette arrivée de nuit nourrit les fantasmes. Nouveau monde imprévisible, large, haut, long : dans la nuit, tout s’éparpille. L’Avenida San Juan, porte d’entrée du barrio San Telmo, est encore un de ces boulevards qui ne se termine jamais : l’hostel réservé se situe par ici, entre deux baraques défoncées, forcément. Moins c’est cher, plus c’est glauque. La sonnette résonne dans le vide, Ivan patiente, pas du genre à laisser deux gringos en galère sur un trottoir, chargés jusqu’aux oreilles. Mes billets de 50 et de 100 collent partout, sur les cuisses et entre les orteils, il est temps de prendre une douche.

Les bagnoles déboulent sans cesse, minuit à Buenos Aires, c’est le début d’une seconde journée, la plus dense. Le gérant de l’hostel ouvre la porte, débraillé et baillant au corneille, trace d’oreiller sur sa joue qui sent le sommeil : il n’est pas argentin, ce qui explique pourquoi il dort déjà. Nous filons nous coucher alors que les bars de Buenos Aires s’éveillent. Ce sera la dernière fois que nous manquerons ce rendez-vous.

Quand tu cherches une boulangerie à l’étranger. ©Mélissa Pollet-Villard

Tunis, août 2018 🇹🇳

Les tapis roulants pour bagages de l’aéroport de Tunis-Carthage sont pris d’assaut par des centaines de voyageurs. La sueur sort par tous les pores, la climatisation est en panne. Les gamins braillent, les touristes européens en short s’impatientent, les parents sont désabusés, le personnel a déserté les comptoirs. L’ambiance est lourde et l’atmosphère pesante. Je crois que je n’avais pas vraiment envie d’être ici mais je suis Mélissa, qui sera prof dans un des lycées français de Tunis. J’oscille entre curiosité et inquiétude mais contrairement à Buenos Aires, je ne ressens aucune impatience. Il faut attendre plus de deux heures avant de voir poindre une valise puis, enfin, pouvoir accéder à la sortie.

Bilel nous attend, cheveux cernés par le gel, larges lunettes de soleil rondes, jean à strass soigneusement déchiré, allure assurée : il sera mon manageur dans une start-up qui conçoit des sites web. J’ai trouvé ce job sans trop savoir pourquoi, animé par l’idée de m’occuper pendant que Mélissa vit sa première année d’enseignement. Bilel fait honneur à l’accueil tunisien, il est impeccable. Sous la chaleur accablante d’un début d’après-midi, il nous conduit et amorce la visite : d’abord mes futurs bureaux, start-up modèle qui émerge dans la zone industrielle. Les locaux sentent la peinture fraîche, mes futurs collègues m’accueillent avec des sourires timides mais je suis habité par un mauvais pressentiment : je me demande déjà pourquoi j’ai accepté ce défi.

Bilel est sympathique mais un peu lourd, parle beaucoup trop à mon goût. Il poursuit la visite en passant à proximité de la medina de Tunis, en empruntant l’avenue Bourguiba, puis le front de mer de La Goulette et enfin, Sidi Bou Saïd, côté plage, au pied du fameux café des Délices, qui surmonte la colline. Le vent frais de la Méditerranée est agréable, c’est un parfum de vacances, je n’ai pas l’impression de mettre les pieds dans mon nouveau pays.

Bilel nous précède dans le bar « Le Pirate », où les parasols abritent les buveurs. Il commande un seau de bière, une dizaine de canettes dans un immense bac à glace. Je pensais qu’il était musulman pratiquant, alors j’avais abandonné l’idée d’arriver de Bordeaux avec une boîte de cannelés en raison du rhum qu’ils contiennent, de peur qu’il ne puisse en manger. Ma prévenance était inutile : deux heures plus tard, il n’y a plus moyen de le sortir de ce bar, il commande un nouveau seau. Puis un autre.

La nuit est noire, le chauffeur ivre. Il nous emmène jusqu’au Airbnb que nous avions réservé, où la propriétaire, qui nous attendait depuis cinq heures, a fini par cacher une clé. Bilel a pris les instructions au téléphone, il tient à tout organiser, habité par ce devoir de l’accueil qui prend des tournures étouffantes. Nous arrivons devant une maison d’un quartier pavillonnaire de La Marsa. Bilel trouve la clé mais ouvre la mauvaise porte, subissant les insultes du voisin de palier. Il finit par nous laisser nous reposer et file en zigzagant jusqu’à sa voiture.

Vingt-quatre heures plus tard, je le retrouve au bureau pour mon premier jour de travail, où, pendant cinq heures consécutives, il m’installe à ses côtés pour l’observer trier ses emails. C’est la seule fois de ma vie où j’ai démissionné d’un travail après une journée. Je n’ai jamais revu Bilel mais j’ai toujours la lunch-box à l’effigie de sa start-up.

La mosquée Zitouna à Tunis ©Mélissa Pollet-Villard

Adélaïde, septembre 2019 🇦🇺

Le plus long des voyages de mon existence est accompagné des sentiments les plus intenses. À peine marié, face à une page blanche à écrire aux antipodes, je suis impatient et curieux. Ce troisième départ en trois ans est abordé avec sérénité : plus besoin de cacher des billets partout, il n’y a que du positif à l’idée de reprendre la route. L’expérience apaise les doutes. Je ferme les yeux et vois du soleil, un van, la baie de Sydney, les vagues de la côte Est. Je les ouvre et voici l’aéroport d’Adélaïde, un dimanche matin de fin d’hiver : de la pluie, pas un chat et des restrictions douanières qui ont évolué depuis une semaine à peine. Il faut jeter la moitié des paquets de clopes.

Personne pour s’entasser dans le bus qui nous mène à Glenelg Beach, pas plus qu’il n’y a de promeneurs dans les rues. Les terrains de sport sont verts mais vides, le ciel est gris et humide, le bus est dépeuplé. Le backpacker de Glenelg est un ancien hôtel qui sent terriblement le moisi. Les locataires sont pour la majorité des jeunes étrangers en PVT qui travaillent dans les environs et ils semblent tous faire la gueule pour leur jour de repos. Quelques-uns attaquent des pintes à côté de la réception où se situe un bar glauque mais l’on sent plus de fatigue que d’enthousiasme.

L’après-midi, nous tentons une sortie dans la rue et la circulation inversée manque de nous surprendre. L’accent très fort des employés du café nous plonge carrément dans le chaos. Il fait un froid horrible, le vent se lève, la pluie redouble. Le sac à dos ne contient que des tenues légères, ou presque car, juste avant de partir, en guise de cadeau de mariage, une amie nous avait promis un job dans le Queensland, sur la barrière de Corail. L’amie en question n’en sera plus une, elle a menti et la découverte de la vérité dès les premières heures passées en Australie constitue un sacré choc. Surtout quand on n’est pas préparé pour le froid.

Le sud de l’Australie est soit alimenté par l’air chaud qui arrive du désert au nord, soit par les vents polaires de l’Antarctique. Pour notre arrivée, c’est une influence Sud et le froid glacial assomme la ville. Glenelg ne semble vivre que l’été et notre logement sent le moisi : le rêve australien change de parfum. La plongée ne se fera pas dans le turquoise de la mer de Corail mais dans l’évier d’un café du Victoria. Aux vagues du Pacifique qui claquent dans les rêves, succèdent les immenses prairies vertes d’une région au climat britannique.

Quand le van sera enfin lancé et que le soleil poindra dans le Queensland, le fameux sunshine state, le Covid nous fera faire demi-tour. La tristesse de l’aéroport d’Adélaïde le premier jour ? Il s’agissait probablement d’un avertissement ! Ne pas l’avoir écouté et ne pas avoir fait demi-tour ? L’occasion d’avoir vécu une expérience unique et d’avoir trouvé une famille australienne. Tant pis si nous nous sommes retrouvés du mauvais côté de la plonge, c’était l’Australie quand même !

Glenelg en hiver, une certaine idée du rêve australien ©Mélissa Pollet-Villard

Athènes, août 2020 🇬🇷

La bagnole est chargée jusqu’à la gueule : il parait que cette fois, c’est la bonne ! Nous ne reviendrons pas après un an, nous mettons les voiles pour de bon. Pour preuve, nous allons jusqu’à Athènes en voiture. Depuis Bordeaux, il faut une journée pour traverser la France et une autre pour descendre l’Italie avant de prendre un bateau jusqu’à Iagoumenitsa, au nord-ouest de la Grèce. L’aube nous dévoile notre nouveau pays alors que la navigation arrive à son terme. Ai-je déjà ressenti un aussi grand coup de cœur en découvrant une nouvelle destination ? Je ne crois pas. Est-ce en raison de la perspective de poser enfin les valises, après quatre années de vagabondages ? Peut-être. Est-ce tout simplement dû à la beauté de la Grèce ? Certainement.

Quelle merveille ! En jetant un œil mi-clos vers le hublot, c’est la stupeur qui m’envahit. Les premières montagnes de Corfou défilent lentement et invitent à se glisser sur le pont. Un détail marquant : le calme. La mer d’huile se dévoile sous sa lumière rosée de l’aurore, les montagnes, paisibles et rocheuses, escortent le bateau jusqu’à l’entrée dans le port d’Iagoumenitsa. Des petites maisons disséminées sur les pentes, des oliviers et des cyprès dans tous les recoins, une autoroute neuve et complètement vide : la bagnole lancée vers un pays neuf qui évoque toutes les plus belles promesses. Chaque détail est un délice. Les montagnes à perte de vue laissent bientôt place aux reflets bleus du golfe de Corinthe, Athènes s’approche.

Mi-août, la capitale est vidée de ses occupants, tous partis en famille dans leurs villages d’origine. Les rues dégagées laissent entrevoir une quantité de bâtiments récents mais déjà usés : Athènes, c’est une urbanisation du XXe siècle, son Acropole et son héritage antique ne représentent qu’une infime partie de cette ville construite dans une cuvette, entourée de montagnes et de la mer. Sous un cagnard terrible, nous trouvons notre logement dans une rue calme, déchargeons la voiture puis filons à pied à la recherche des premières saveurs grecques. Instantanément, happé par cette moiteur, il n’est plus question que d’ouzo, d’olives, de fromage frais et de cafés frappés. Instantanément, dans le calme de l’Athènes estivale, on se dit qu’il n’y a pas de ville plus idéale pour laisser les valises prendre un peu la poussière.

καλως ήρθατε στο σπίτι μας ©Mélissa Pollet-Villard

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