En route vers un second PVT : 35 heures à tuer entre Bordeaux et Adelaïde
0| Mis à jour le 19 juin 2020
Article rédigé par Marc Nouaux du blog Les Cahiers Vagabonds. Photographies de Mélissa Pollet-Villard.
La dernière bise, la dernière accolade, le dernier sourire, la dernière larme. Les interminables et émouvants « au revoir » devant la porte d’embarquement sont actés, place au voyage. Mélissa et moi nous retrouvons seuls, une nouvelle fois, après avoir tant partagé avec nos proches lors des derniers jours puisque nous sommes de jeunes mariés. Pas de pancarte just married accrochée à nos back-packs mais une impatience d’être enfin lancés à 100 % vers notre nouvelle aventure : l’Australie. En quatre ans, c’est la troisième fois que nous nous expatrions : un PVT en Argentine, une expérience d’un an en Tunisie et donc Aussie, à une trentaine d’heures de voyage.
Il est bientôt 17 h en ce vendredi de septembre lorsque nous effectuons les contrôles de routine à l’aéroport de Bordeaux. C’est un aller sans retour, du moins sans date de retour. Nos regards impatients et complices se croisent : la force de l’habitude n’enlève pas cette excitation qui accompagne les départs. Plus tard, sur le tarmac, se dresse devant nous le Bombardier de la Lufthansa qui va nous guider jusqu’à Francfort, première des deux escales de ce long périple. Le trajet dure moins de deux heures et rappelle n’importe quel saut de puce que l’on a l’habitude d’effectuer en Europe pour y passer un week-end. L’avion est rempli de costards cravates avec chaussures à pointes ou de tailleurs bien serrés avec talons hauts. Francfort est une destination d’affaires et les back-packers ne sont pas du genre à emprunter les mêmes chemins. Le contexte ne prête pas encore à la projection vers l’Australie mais patience, le moment arrivera vite.
Francfort sur le Main, une heure et demi d’escale. L’A380 à destination de Singapour est sacrément impressionnant, on se demande bien comment un tel appareil peut s’élever dans les airs. Son intérieur est confortable et agréable. Calés au cœur de rangées de quatre, nous sommes entourés par un couple d’Asiatiques qui préfère voyager chacun de son côté en couloir plutôt que côte à côte. Un choix qui nous paraît surprenant et qui les obligera à se lever plusieurs fois pour nous laisser aller aux toilettes. Il est plus de 23 heures quand l’immense avion s’envole à destination de l’Asie. Conséquence directe d’un mariage et d’une semaine de pots de départs, je suis déjà profondément endormi. Le dîner est servi, c’est l’occasion de goûter un peu à la cuisine allemande : Du bœuf en sauce servi avec de délicieuses Schupfnudeln (des nouilles roulées), du vin rouge trop sucré et une salade de fruits. Douze heures de vol nous séparent de l’escale asiatique.
La mixité au sein de l’avion commence à nous plonger vers le PVT
Il est enfin temps de prendre conscience de la marche que nous sommes en train de franchir. Je me rappelle alors mon état d’esprit lors de mon départ à Buenos Aires, trois ans plus tôt. C’était mon premier grand saut vers l’extérieur, à 29 ans. Je ne parlais que très mal l’espagnol et encore moins bien l’anglais. Pour me rassurer, j’avais pris de nombreux contacts sur place, notamment dans le journalisme, mon ancien métier avant de quitter la France. J’avais convaincu Mélissa de l’intérêt de s’installer à Buenos Aires, d’y trouver du travail avant de partir voyager. Le stress était aussi grand que l’impatience de découvrir un autre monde. J’imaginais les rues, j’imaginais les gens, j’imaginais une ambiance.
Pour ce nouveau départ, force de l’expérience ou de l’insouciance, je n’anticipe rien, je repousse sans cesse à plus tard les premières idées que je me fais de mon futur pays d’adoption. Bien sûr, quelques images me viennent à l’idée, parvenues dans mon esprit à travers les nombreux documentaires que j’ai visionné et grâce aux lectures des œuvres de Kenneth Cook pour disposer d’un premier regard sur l’Australie. Un petit frisson me surprend : l’espoir d’enfin maîtriser couramment l’anglais dans quelques semaines me remplit de joie. Quelle frustration de ne pas tout « piger », de faire semblant de comprendre… D’ici peu, je saurai enfin bien maîtriser cette langue et de nombreuses portes s’ouvriront. Finalement, des flashs jaillissent dans mon esprit : des kangourous, un van, une planche de surf, des sourires, du sable, du soleil, des vagues… Les poils se dressent sur mon bras et trahissent mon émotion. Les premiers effets de l’Australie, sans aucun doute.
Huit heures de sommeil consécutives, une vraie nuit réparatrice avec un petit bonus au réveil. Non, ce ne sont pas les œufs et les épinards à la crème servis au petit-déjeuner. Le plus de la matinée, c’est lorsque je me rends compte que mon écran de télévision peut diffuser Sports 24 et le match de Coupe du monde de rugby France-Argentine en live. Le temps d’atterrir, j’aurai au moins la possibilité de voir la première période. Les hymnes sont chantés, le coup d’envoi est donné, l’adrénaline du voyage est vite esquivée par ce match de Coupe du monde. Singapour est annoncé peu après, l’A 380 atterrit et ferme les écrans. La mi-temps est sifflée. Une chaleur très humide nous saisit dans le petit corridor qui nous relie à l’intérieur de l’aéroport.
L’aéroport de Singapour est une ville dans la ville, un vrai labyrinthe
Nous nous perdons avec Mélissa à la sortie de l’avion et mon téléphone n’a plus de batterie. Pas de panique, le temps de recharger l’appareil, de se connecter au wifi et l’on se retrouve. L’aventure contemporaine présente cet avantage : elle n’en est pas vraiment une. Un peu moins de sept heures d’escale, cela aurait pu laisser le temps de sortir mais les délicieux sièges couchettes et les nombreuses salles de repos permettent de se détendre un peu et de regarder les vingt dernières minutes du match de rugby. Mélissa part se balader à la découverte de cet aéroport aux traits futuristes qui lui donnent un air de Cinquième Elément. Des petites cascades apaisent le voyageur stressé ou pressé tandis que de nombreux arbres et plantes vertes permettent de végétaliser cette ambiance hi-tech.
Nous profitons de cette escale asiatique pour goûter à une soupe de nouilles et un plat de riz avec du poulet caramélisé. Ha, l’Asie nous avait manqué… Peut-être (ou sans aucun doute) qu’après l’Australie, nous reviendrons y faire un tour… Encore des rêves, des espoirs et des envies… Ce long trajet vers notre second PVT provoque une véritable ébullition d’idées et d’interrogations. Ce sont des émotions qui donnent la chair de poule !
La porte vers l’Australie s’ouvre enfin
Encore sept heures de vol et le bout du chemin se dressera devant nous. Adelaïde, South Australia : les agents de Singapore Airlines distribuent les indispensables cartes à présenter au service d’immigration australien. Première surprise : « avez-vous plus de 25 cigarettes sur vous ? » Nous qui pensions pouvoir en emmener 50 chacun, il va falloir détruire des paquets. Ou bien tenter de passer malgré tout et risquer une amende en cas de contrôle. On a déjà vu meilleure entrée en matière dans un pays, tant pis, on jettera ce qu’il y aura en trop à l’arrivée en Australie.
©Mélissa Pollet-Villard
©Mélissa Pollet-Villard
Les hôtesses singapouriennes sont très distinguées, vêtues de robes longues traditionnelles et colorées. Le service est effectué avec le sourire et nous offre un rab de cuisine asiatique. Les lumières s’éteignent rapidement car il est presque minuit, heure locale. Pour nous, 17 h, heure française : malgré la fatigue, les premiers effets de l’inévitable jet-lag se font sentir avec une nuit blanche pour Mélissa qui écume les films. Environ sept heures de trajet, avec un petit-déjeuner qui précède l’atterrissage et qui sonne la fin d’un long périple. Aussie, enfin. Des années que j’attendais de te voir et me voilà. Terre de tous les espoirs, de tous les rêves, de tous les gros animaux flippants. J’ai les yeux brouillés par la fatigue, le cœur serré par l’émotion, les poches vidées par la peur des contrôles : « vingt-cinq clopes, pas plus », on a dit. Si j’avais dix ans de moins, je n’aurais rien jeté, je me fais vieux. « A trente ans, tu es plus solide qu’à vingt », m’avait répété un oncle avant mon départ pour l’Argentine il y a trois ans. Je ferai de ces dix ans de plus une force et un avantage certain, surtout ici, où les back-packers sont généralement plus jeunes que nous.
Pas de contrôle par les douanes, dommage pour les paquets partis à la poubelle. L’aéroport ouvre ses portes de sortie : Adelaïde, froide, humide et grise nous souhaite la bienvenue. Pas l’Australie que l’on rêve. Dimanche matin, 9 heures, pas un chaton dans la rue. L’esplanade devant l’aéroport est à peine fréquentée par quelques voyageurs, on se croirait dans un aéroport de campagne. Nous traînons nos back-packs jusqu’à l’arrêt de bus : direction Glenelg beach, petite station balnéaire située à une dizaine de kilomètres du centre-ville. Nos yeux fatigués scrutent les rues vertes des alentours d’Adelaïde. Les bâtiments ne sont pas imposants, les avenues sont aérées, les parcs fleurissent à peine à la sortie de l’hiver. Le froid nous colle à la peau après un été caniculaire français et une année en Tunisie.
Trente-cinq heures après avoir poussé la porte de la maison familiale, voici la porte du back-packer, situé à une rue du front de mer. Douche puis sieste sont de rigueur avant d’aller se balader sur la jetée de Glenelg, fréquentée par de courageux promeneurs osant affronter la pluie. L’ambiance me rappelle les balades dominicales avec mon père les dimanches d’hiver à Arcachon. Glenelg doit être plus animée l’été, avec ses plages de sable blanc. Des plages de sable blanc… Tiens, cela me redonne de l’énergie et de l’espoir. Bientôt, on les fréquentera et on les écumera, sous le soleil. En attendant, il faut trouver du boulot, une bagnole et faire son FTN. Violent, le retour à la réalité mais c’est aussi ça la beauté du PVT : les émotions vous submergent et vous rendent vivant, tout le temps.
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